YVES SAINT LAURENT
Ennuyeux défilé de mode(s) sur grand écran
En 1957, le jeune couturier Yves Saint Laurent prend la direction artistique de la prestigieuse maison de haute couture fondée par le défunt Christian Dior. Il y rencontrera Pierre Bergé, avec lequel il entamera une longue relation amoureuse. Peu après, les deux hommes s’associeront en affaires pour créer leur propre société, laquelle va révolutionner le monde de la mode par une approche à la fois moderne et audacieuse…
Les invités sont tous assis autour de l’estrade, l’attente commence à monter, la lumière se tamise peu à peu, la musique d’accompagnement démarre, et voilà que les modèles, un par un, entament leur lente marche sur l’estrade pour présenter la nouvelle collection… On sait tous à quoi ressemble un défilé de mode, à quoi bon faire cette petite description ? La raison est très simple : visionner en salles ce biopic consacré à Yves Saint Laurent (un second, réalisé par Bertrand Bonello, sortira en mai 2014) procure à peu près le même effet que d’être l’invité (accidentel) d’un de ces défilés. Assis sans jamais se sentir concerné, admirant l’élégance de l’ensemble tout en restant tenu à distance, réduit au rang de spectateur passif que l’on aurait privé de toute implication émotionnelle, on cherche très rapidement l’utilité d’un tel projet. À la fin de la projection, il est clair qu’on ne l’a pas trouvée.
Après deux films déjà très décevants ("24 mesures" et "Des vents contraires"), Jalil Lespert enfile à nouveau la casquette de réalisateur avec sa fascination pour l’univers de la mode comme principal argument. Sur ce point, aucune crainte à avoir : pour filmer les robes et capter la sensualité des gestuelles d’acteurs, Lespert ne manque pas de talent. Sur tout le reste, en revanche, il y avait tout à faire, tout à explorer, ne serait-ce que le contenu historique et esthétique. Si l’on regarde en arrière, très peu de cinéastes récents, hormis Joann Sfar avec "Gainsbourg (vie héroïque)" et Jan Kounen dans "Coco Chanel & Igor Stravinsky", ont su mettre en parallèle le parcours d’un artiste avec l’évolution de son époque, au travers d’une mise en scène privilégiant l’immersion et la sensation au détriment du didactisme le plus grossier. Sur ce point, le parcours professionnel d’Yves Saint Laurent pouvait tout à fait appeler le cinéma au travers de l’évolution des modes et des esthétiques d’une époque à l’autre, allant des collections de vêtements pour femmes jusqu’à la popularisation d’un prêt-à-porter chic et branché. Nul doute qu’un sérieux travail de mise en scène était à envisager sur ce domaine-là, du moins pour donner à capter l’évolution d’un style artistique.
Hélas, trois fois hélas, Lespert s’avère incapable de s’extraire du carcan étriqué du biopic-Wikipédia : de la naissance d’une vocation au décès brutal, en passant par le succès croissant et l’inévitable période borderline, les étapes obligées s’enchaînent les unes aux autres sans réelle audace, la mise en scène se borne à enchaîner les plans esthétiques à la manière d’une suite de couvertures pour magazines, les acteurs investissent le cadre comme des gravures de mode figées dans les trois quarts des plans, et la narration saute d’une date à l’autre jusqu’à ne jamais donner la sensation du temps qui passe. Là où Lespert donne toutefois l’illusion d’un vrai travail de cinéaste, c’est lorsqu’il déploie dans certaines scènes une approche mélodique du découpage, faisant confiance à la musique (hélas un peu trop envahissante) pour accompagner l’émotion d’un plan à l’autre. Un parti pris plutôt maîtrisé, mais qui reste hélas à l’état embryonnaire, présent ici et là sur quelques scènes qui passent alors pour d’heureux accidents.
Sur le fond, ça se gâte aussi. Si l’on en juge par le synopsis, ce biopic devait se centrer sur les relations amoureuses entre Yves Saint Laurent et son associé Pierre Bergé. Rectification : sur 1h40 de métrage, cet aspect ne se cristallise que durant une trentaine de minutes. Et c’était inévitable, tant Lespert n’a de cesse que de vouloir tout aborder de la vie de son protagoniste sans rester concentré sur un aspect précis de son parcours (même l’évolution de la relation professionnelle entre les deux hommes frise le bâclé). Un protagoniste qui, comble de la déception, n’existe quasiment pas à l’écran : en raison de la voix off de Bergé qui utilise les « Tu » comme pour engager un dialogue avec le fantôme disparu de son cher et tendre, on a presque l’impression de ne voir en Yves Saint Laurent qu’un simple satellite, imposant un tempérament tour à tour timide et obsessionnel dans un coin du cadre sans jamais pouvoir le rendre vivant et/ou intéressant. Le casting du film, pourtant méritant, finit même par payer les pots cassés de cet évident manque d’orientation : pour incarner le célèbre couturier, Pierre Niney accomplit ici un indéniable travail de mimétisme (on peut trouver cela gonflant), mais c’est Guillaume Gallienne, décidément impeccable dans tous les registres, qui lui chipe constamment la vedette en incarnant un Bergé complexe et plus vrai que nature. Une qualité qui se transforme hélas en défaut. Un de plus…
Guillaume GasEnvoyer un message au rédacteurBANDE ANNONCE