RENGAINE
Rengaine ton gun, mon frère !
Neuf ans. C’est la durée qu’il a fallu à Rachid Djaïdani pour tourner et monter cette œuvre en totale indépendance financière et créative. Le moins que l’on puisse dire, c’est que toute cette liberté se ressent à l’écran. « Rengaine » est un film hors du commun et des circuits de production habituels. Pur produit urbain filmé au numérique, à l’image du « Donoma», de Djinn Carrénard, cette petite pépite respire l’authenticité, la fraîcheur et la fougue de la jeunesse des quartiers populaires de Paris. Autodidacte de 38 ans, accessoirement boxeur et auteur d’essais ayant fait ses premiers pas dans le monde du cinéma en tant que régisseur sur le tournage de « La Haine » de Kassovitz, Rachid Djaïdani livre ici sa première fiction sur un sujet complexe, peu évoqué dans le cinéma français, qui aurait pu devenir une simple succession de clichés si le réalisateur n’avait pas su frapper aussi juste.
« Rengaine », c’est l’histoire d’un amour qui dure depuis plus d’un an entre deux appentis comédiens qui désirent sceller celle-ci par une union matrimoniale. L’un s’appelle Dorcy, un noir qui tente de percer dans le monde du spectacle en se réduisant à des castings parfois loufoques et dégradants, l’autre est Sabrina une jeune femme d’origine algérienne, en pleine possession de son destin, décidée à se marier malgré une tradition bien ancrée dans la culture maghrébine. En face de cette relation secrète, se posent sur l’échiquier des relations intercommunautaires les trente-neuf frères de Sabrina, et surtout un, l’aîné (ou presque), sorte de chien de garde quadragénaire d’un respect qui ne va que dans un sens, celui du mâle. « Fais comme je dis, pas comme je fais » comme dirait l’autre puisque Rachid Djaïdani expose une situation tout aussi délicate pour le frère le plus hargneux, profitant par la même occasion pour dénoncer cette hypocrisie latente et cet ostracisme envers toutes communautés, religions ou préférences sexuelles différentes et ce, au nom d’une règle écrite nulle part mais profondément ancrée dans les mentalités.
De sa caméra fébrile, capturant toujours les expressions au plus près du visage, le réalisateur d’origine soudanaise et algérienne nous fait voyager dans les rues de Paris, de Stalingrad aux Abbesses, nous faisant découvrir à chaque séquence, une vision plus ou moins radicale de la situation. Car il ne faudrait pas croire que les quarante frères sont tous contre le mariage. Ce serait bien trop simpliste, et Rachid Djaïdani laisse s'exprimer toute une palette de personnages, certains suiveurs et soumis à la parole de Slimane (l’excellent Slimane Dazi, qui incarnait déjà Brahim Latrache dans « Un Prophète»,» de Jacques Audiard), d’autres plus intégristes menaçant de renvoyer Sabrina au « bled », en passant par de fermes réfractaires au dictat de Slimane. Djaïdani se joue de nos a priori et préjugés avec un certain brio notamment lors d’une séquence qui trompe à coup sûr son monde et désamorce le caractère révoltant de certains propos par un humour ravageur dans un lexique qui est propre à celui des quartiers.
C’est avec cette œuvre frénétique et talentueuse que Rachid Djaïdani explose les non-dits d’une société qui voudrait fermement croire à l’utopie de l’intégration et de la mixité culturelle. Pendant cette heure quinze qui passe comme une dizaine de minutes, on espère que cette « Rengaine » passera du « touche pas à ma sœur, mon frère » à « l’amour n’a pas de frontière ».
Alexandre RomanazziEnvoyer un message au rédacteur