LE HAVRE
Un havre de bonheur
Sous-préfecture de Seine-Maritime, et accessoirement unité de lieu du film, le havre signifie plutôt ici la notion de refuge. Ce lieu, paisible et intemporel, est l’endroit où Michel Marx a posé ses bagages. Parisien et auteur sans succès, ce dernier a enfin trouvé dans cette ville la sérénité qui lui manquait. Il coule à présent des jours heureux auprès d’Arletty, sa femme dévouée, et de ses voisins, toujours prêts à l’aider en cas de besoin. Cette bienveillance, Marcel va la partager avec Idrissa, un jeune clandestin. Échappé d’un container, ce dernier est recherché par les autorités et notamment par le flegmatique inspecteur Monet.
“Le Havre” c’est tout simplement une belle histoire qui évoque le respect, au sens républicain du terme. Cela peut sembler facile, or la cause est noble et il n’est jamais redondant d’insister sur l’importance du mot “fraternité”. Néanmoins l’excellence du film réside principalement dans sa forme. Un style unique, poétique et drôle, signature d’un metteur en scène définitivement à part. Buster Keaton scandinave, Kaurismäki ne sourit guère, pourtant son univers est délicieusement drôle.
Tout en finesse, le cinéaste conjugue admirablement comique de situation et dialogues aux réparties décalées. Son souci du détail sublime les scènes les plus anodines, tel ce passage où l’inspecteur Monet achète un ananas. Racontée, l’anecdote semble sans aucun intérêt, alors qu’à l’écran, elle vous comblera d’un sourire béat. Une telle approche offre aux acteurs la possibilité de composer des personnages hauts en couleurs. André Wilms séduit comme toujours avec son phrasé noble si précieusement ridicule, alors qu’à l’inverse, Darroussin, étriqué dans son imper noir, provoque le comique d’une simple mimique.
Par ailleurs, la perfection ne serait rien sans un bel écrin. C’est le cas ici avec cet univers si particulier qui résume à lui seul la touche Kaurismäki. Une ambiance anachronique, où se côtoient passé et présent avec une hiérarchie parfaitement maîtrisé. Les héros se distinguent des figurants par leur allure désuète. Marcel Marx est cireur de chaussure et l’inspecteur roule en R16 alors que tous les autres policiers conduisent des citadines actuelles. Le petit quartier où habite notre fine équipe semble aux antipodes de la ville nouvelle qui caractérise Le Havre. Tel un décor créé de toute pièce, les nuances respectent une harmonie colorée caractéristique à l’ensemble de la filmographie du réalisateur. Du vert mi-amande, mi-lagon, du bleu pétrole, le tout rehaussé de jaune vif, accrochent une lumière qui révèle de sublimes clairs-obscurs.
Amateur d’art et grand cinéphile, Kaurismäki distille dans son film moult références à la France qu’il aime. Ses personnages portent le noms d'icônes nationales : Monet, Arletty (il pensait tout d’abord à Mistinguett, mais il ne savait pas comment l’écrire). Ensuite, pour souligner plus intensément son propos solidaire, il donne à son héros le nom de Marx et baptise sa chienne Laïka. Une note communautaro-communiste qui inspire plus l’altruisme dévoué que le despotisme politique. Une brin naïf, le héros existe par ses proches… à lui à présent de compléter la chaîne.
L’osmose fait mouche au sens propre comme au figuré, révélant une nouvelle fois, le génie du cinéaste à évoquer les classes dites “populaires” en les élevant au rang d’œuvre d’art, autant par les mots que par l’image. Ovationné par le public de Cannes (et injustement boudé par le jury), Kaurismäki rassemble les spectateurs les plus hétéroclites. Une particularité plutôt singulière qui se résume par ces mots de Jean-Pierre Darroussin : “On est tout acquis à Aki !”
Gaëlle BouchéEnvoyer un message au rédacteur