Festival Que du feu 2024 encart

JUDGE

Un film de Liu Jie

Une vie pour une autre

Dans un tribunal du nord de la Chine, se joue le destin de trois hommes : Qiuwu, passible de la peine de mort pour avoir volé deux voitures ; le juge Tian, magistrat implacable, totalement désemparé par la mort suspecte de sa fille ; et enfin, le PDG d’une grande société, atteint d’une grave maladie, qui attend l’exécution du condamné afin de se faire greffer son rein.

Grand prix du festival Deauville Asia 2010, «Judge» fait l’état des lieux d’un système judiciaire chinois qui, en 1997, est capable de fusiller un homme pour des vols de voitures. Une justice sévère et impartiale, à l’image de l’autoritarisme du gouvernement. Comme issu d’un autre âge, l’univers carcéral est des plus dégradants pour la personne humaine. Les détenus étant emprisonnés à plusieurs dans des cellules vétustes, totalement dépourvues de confort et d’hygiène. Autre symptôme des régimes totalitaires, une bureaucratie omniprésente qui oppresse plus les citoyens qu’elle ne les protège. Ainsi, le simple fait de posséder un chien requiert d’avoir une licence, alors que l’on peut se faire voler son vélo en toute impunité et le retrouver en vente sur le trottoir d’en face, à deux pas d’un poste de police.

Néanmoins, «Judge» est loin d’être un documentaire, bien au contraire. La pureté de l’image, le souci d’une photographie esthétique et épurée, soulignent une mise en scène fluide et soignée. Le réalisateur s’attache surtout à dépeindre le portrait de trois hommes à un moment crucial de leur vie. Des personnages discrets qui, au premier abord, apparaissent totalement impassibles face au drame qui se joue. Jusqu’au jour où la carapace se fissure et laisse transparaître leur mal-être.

La peinture sociale cède ainsi la place à un suspens latent, dont l’issue ne dépend que d’un seul homme, le juge Tian. Lui seul peut décider du sort des deux autres. Or c’est un homme désemparé par le décès de sa fille, incapable de renouer des liens avec sa femme et qui semble agir machinalement, comme un robot. Cette léthargie du désespoir est magnifiquement évoquée par plusieurs plans fixes du couple en train de déjeuner. Des scènes d’une symétrie glaciale, qui amplifient la détresse de ces deux êtres en perdition.

Liu Ji, construit alors son histoire tel un jeu de domino, dont le dénouement ne se joue plus dans un tribunal mais à travers le ressenti d’un homme. En résulte une œuvre subtile, ou chaque sentiment est suggéré par l’image. Une image belle et minimaliste, miroir d’un travail réfléchi et bien écrit. Un film qui mérite largement son Grand Prix, récompense qui, espérons le, lui permettra une distribution prochaine dans les salles françaises.

Gaëlle BouchéEnvoyer un message au rédacteur

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