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I AM BECAUSE WE ARE

Un film de Nathan Rissman

« Je suis ce que je suis grâce à ce que nous sommes tous »

Au Malawi, une génération d’enfants est livrée à elle-même, sans parents. Ils sont un million dans un pays qui compte 12 millions d’habitants. Ce documentaire unique donne la parole à ces enfants, leur permet de confier leurs peines, les problèmes auxquels ils sont confrontés, leurs inquiétudes et tente de cerner ce que leur réserve le futur...

Un documentaire sur les enfants africains qui ferait fi de toute tentation moralisante ne serait pas vraiment un documentaire sur les enfants africains. Celui de Nathan Rissman, malgré un brin d’artificialité assumée, ne fait pas exception en s’aventurant dans l’intimité des orphelins du Malawi, petit bout de terre situé au sud du continent qui a le triste privilège d’être la seconde nation la plus pauvre du monde. En allant voir ce genre de film il faut avoir pleinement conscience de son caractère mélodramatique, de son inclinaison au relativisme social (« après avoir vu cela je ne me plains plus » affirme le commentaire), de son acharnement – presque obscène – à produire chez nous de la compassion, voire de la condescendance. On ne peut ignorer que pareil documentaire s’inscrit dans une démarche pédagogique et dans ce but use forcément des outils ambigus propres à toute leçon humaniste : du pathos (un peu) et du jugement (beaucoup) pendant le visionnage, et de la pénitence après-coup.

Un brin de morale ne fait d’ailleurs de mal à personne. Elle s’avère même indispensable au bon équilibre de notre conscience : je me sens mieux parce que je sais ce qu’il se passe ailleurs, même si je ne peux pas modifier le cours des événements. Sauf quand cette leçon est véhiculée par une personnalité dont le mode de vie est l’antithèse même du propos humaniste. Ici, c’est Madonna qui joue le rôle du Bon Samaritain, forte de son expérience humanitaire très médiatisée au Malawi : elle y a adopté un enfant, en a parrainé d’autres, et prête sa voix à ce documentaire.

Sa présence attise la curiosité du public et permet à Rissman de vendre son film plus efficacement, sur un conseil curieux de Michael Moore (« faire intervenir des personnalités » pour rendre aux spectateurs un peu du temps qu’ils donnent au film). C’est là le défaut ostensible de « I Am Because We Are » : se donner à tout prix des airs populaires au risque de perdre de vue son but premier, à savoir témoigner d’une situation et attirer l’attention. Risque concrétisé par la présence envahissante de la chanteuse, car, en tant que spectateur et surtout en tant que citoyen, je trouve quelque peu indécent de me faire dicter ma conduite par une star internationale qui brille plus par ses caprices que par sa générosité.

Ceci mis à part, le documentaire de Rissman vaut le coup d’œil, ne serait-ce que pour les thèmes essentiels qu’il ose aborder sans fioritures, à travers la franchise de ses multiples intervenants : hommes et femmes du Malawi et d’ailleurs, parlent à cœur ouvert, les enfants racontent leurs expériences traumatisantes avec une honnêteté et une innocence désarmantes, et les effets de mise en scène et de montage, qui induisent un indispensable pathos, appuient sur la bonne corde émotionnelle. La démarche du projet est claire : témoigner du calvaire vécu par une population misérable et, de là, étendre le propos aux grandes contradictions propres à toute l’Afrique, voire à la planète entière. Les différents interlocuteurs n’hésitent pas à pointer du doigt, par exemple, ce rejet (très africain) du concept même de progrès, remarque qui fait bizarrement écho au discours controversé du président français à Dakar il y a quelques années : l’Afrique a-t-elle besoin de rentrer dans cette « Histoire » qu’elle semble avoir quittée ?

La question se pose ici avec clairvoyance mais sans brutalité. Le principe de modernité bute ainsi contre l’hermétisme d’un pays où les traditions culturelles et religieuses occupent encore une place déterminante, aux dépens des avancées sociales et politiques qui remettraient le Malawi (et d’autres nations) sur les bons rails économiques. On pense au SIDA, bien sûr, le premier des problèmes puisqu’il est responsable de l’augmentation des orphelins et qu’il signifie une perte significative de main-d’œuvre vigoureuse (les jeunes étant les plus touchés). On pense aussi à ce mal-être politique qui projette sur le devant de la scène des hommes cruels cédant aux appels du tout-pouvoir, ainsi le dictateur Banda, resté à la tête de l’Etat de 1966 à 1994 que l’égocentrisme poussait à tout contrôler.

Corollaire de l’anti-progressisme, c’est la notion de victimisation qui est la plus fortement montrée du doigt ici. Cette remarque est d’autant plus importante que l’on touche à l’un des sujets tabous de la notre société moderne, où continue de s’étendre le spectre de ce que Pascal Bruckner appelle « la tyrannie de la pénitence ». Au fil des images, nous voyons ainsi la directrice d’une organisation humanitaire, dotée d’une farouche détermination, interpeller les hommes d’un bidonville de la capitale pour qu’ils prennent à bras le corps leurs responsabilités professionnelles et familiales au lieu de se morfondre dans la boisson. Comme le signale un autre intervenant, la victimisation chronique des populations africaines ne peut être qu’un obstacle au progrès en ce qu’elle recouvre et dissimule d’un voile de haine le fond véritable du problème ; et puisque accepter le problème, c’est entrevoir immédiatement des solutions, la notion de responsabilité apparaît bien comme la condition d’un avenir plus radieux. A tout le moins, on ne pourra pas reprocher à Nathan Rissman de donner des leçons quand celles-ci sont empruntes d’une logique aussi limpide.

Eric NuevoEnvoyer un message au rédacteur

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