Festival Que du feu 2024 encart

NOUVEAU DÉPART

Des zoos et des vies

Suite à la mort de sa femme, Benjamin Mee a du mal à reprendre pied. Tous les endroits qu’il croise lui rappellent la disparue. Alors, il plaque son boulot de journaliste, quitte la ville et emmène ses deux enfants vivre dans une grande bâtisse à la campagne qui a la particularité d’être adjacente à un zoo délabré. Avec l’équipe qui gère le parc, dominée par la belle Kelly Foster, ils vont tenter de le remettre aux normes en vue d’une réouverture à l’été…

La réplique leitmotiv du film – « Pourquoi pas ? » – pourrait parfaitement s’appliquer à ce curieux projet porté par Cameron Crowe : pourquoi s’embarquer dans l’adaptation des mémoires de Benjamin Mee, curieux personnage qui racheta en 2007 un zoo anglais pour le réhabiliter ? La réponse se trouve dans la carrière du réalisateur, dans le thème commun à la plupart de ses longs-métrages : un homme résigné à se battre contre l’adversité, en faveur d’un projet qui laisse tout le monde pantois autour de lui. À travers la détermination de Benjamin, incarné par un époustouflant Matt Damon, on se souvient des caractères bien trempés de Jerry Maguire et du jeune héros de « Presque célèbre », pour ne citer que ceux-là. Benjamin Mee n’est pas la moitié d’un sacré bonhomme, et Crowe en peint rapidement un solide portrait : aventurier dans l’âme, père aimant, courageux entrepreneur de l’absurde. On a immédiatement envie de l’aimer, comme on a envie d’aimer et d’étreindre tous les personnages de cette jolie entreprise. Pour Crowe lui-même, au vu d’un succès qui lui échappe depuis maintenant plusieurs années, « Rencontres à Elizabethtown » ayant été un ratage public, ce « Nouveau départ » pourrait très bien être un message encourageant pour sa propre carrière.

En propulsant cet urbain au beau milieu d’une ruralité à laquelle il ne comprend pas grand-chose, et en y adjoignant l’arrière-plan quelque peu saugrenu de ce zoo laissé quasiment à l’abandon – il faut une légère suspension d’incrédulité pour accepter raisonnablement que le personnage signe l’acte de vente de la maison-ménagerie – Cameron Crowe livre un état des lieux lucide sur l’Amérique d’aujourd’hui. « Nouveau départ » dresse le portrait d’un pays d’après la crise économique, exsangue et endommagé de l’intérieur, las et nostalgique, mais désireux de s’en tirer par un retour à des valeurs franches. L’environnement de la famille Mee s’étant écroulé, il faut au père et à ses deux enfants en recréer un de toutes pièces, motivé par l’autodétermination et la libre-entreprise. La fuite de la grande ville et l’installation au milieu des cages d’animaux fonctionne quasiment comme un manifeste d’un retour désiré à une ruralité perdue, valable pour le pays tout entier : inutile de s’appesantir sur son sort, il faut aller de l’avant quitte à foncer tête la première – et en évitant soigneusement le discours raisonné de la conscience, ici incarné par le frère de Benjamin. En ce sens, si le titre français finalement choisi par la Fox après quelques tergiversations illustre un besoin d’expliciter a priori les enjeux du film, son titre original jouait plutôt sur le fait accompli : « On a acheté un zoo », aussi étrange ce fait paraisse-t-il. On pourrait dire, sur le même ton : « On a détruit notre économie et notre mode de vie », et la question suivante resterait la même : Et maintenant, que faire ?

« Nouveau départ » émet une proposition pour cet « après » de la crise. De façon très pragmatique, le film encourage l’audace (prendre possession d’un zoo et de ses animaux sans rien y connaître), l’apprentissage (Mee apprend les bases du travail à la campagne), l’investissement désintéressé mais matériel, loin des spéculations financières d’antan (le personnage y met toutes ses économies, et plus encore, malgré les risques) et la vie en communauté (avec les gérants du zoo aussi bien qu’avec les animaux eux-mêmes, voisins parfois indélicats). Il promet encore des amours naissantes, entre Benjamin et Kelly (Scarlett Johansson), entre son fils et Lily (Elle Fanning), amours qui avec délicatesse n’entravent jamais le déroulement du récit et restent confinées à un hypothétique « après » de la narration. S’il n’y avait ce scénario somme toute assez attendu et cet usage trop emphatique de la musique, on pourrait aisément tomber amoureux de cette œuvre intimiste et lyrique, portée par des comédiens remarquables. À défaut, « Nouveau départ » reste pour le moins enthousiasmant et émouvant.

Eric NuevoEnvoyer un message au rédacteur

BANDE ANNONCE




Powered by Preview Networks

Laisser un commentaire