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LA PRINCESSE DU NEBRASKA

Une atmosphère pesante pour une errance sans fin

Une jeune Chinoise arrive aux États-Unis. Malgré les quelques contacts qu’elle a sur place, elle va progressivement s’enfermer dans sa solitude et son mal-être, jusqu’à errer dans la ville, au gré des rencontres...

Il y a comme un air de « Lost in Translation » qui plane sur ce nouveau film de Wayne Wang. Un air musical languissant. Un air désespéré des personnages. Et l’air pesant d’une atmosphère mélancolique. L’air y est toutefois plus lourd que dans le film de Sofia Coppola. On y sourit très peu, en effet, car l’histoire est bien plus déprimante que la mine déconfite de Bill Murray – pas d’effet "Droopy" ici !

Le film explore même les limites du glauque, en évoquant la prostitution et le trafic de bébés. Wang joue surtout sur les non-dits et ceci a un double impact : celui, positif, de rester subtil, mais l’autre, plus déconcertant et problématique, de perdre un peu le spectateur. Il flotte une désagréable impression d’improvisation ou d’écriture trop rapide du script. A force de distiller ça et là des indices sur l’histoire des personnages, Wang finit par donner un sentiment d’incohérence – mais il est difficile de savoir si elle est réelle ou si ce n’est que le ressenti du spectateur après un unique visionnage du film.

Malgré cela, les personnages et situations sont loin d’être inintéressants. Wang parvient même à donner un aperçu fort pertinent de quelques problématiques contemporaines. Le réalisateur semble par exemple interroger les bienfaits de la modernité, notamment en insérant des plans qui sont supposés être tournés avec un téléphone portable par le personnage (et peu importe si certains détails enlèvent toute crédibilité à ce postulat). Cet outil permet de fouiller un peu plus dans le désarroi du personnage au lieu de constituer un élément de confort et d’assistance que le progrès technologique est susceptible d’apporter. Ce choix de mise en scène peut aussi révéler l’individualisme croissant de nos sociétés, voire un réel narcissisme qui va à l’encontre de la communication entre les êtres – un comble pour un téléphone portable ! En tout cas, il ne s’agit aucunement d’un narcissisme de la part du réalisateur, contrairement à ce qu’un spectateur affirmait avec mépris à la sortie de la projection...

Wang aborde aussi les rapports entre Asiatiques et Occidentaux (ici Chinois et Américains) et la difficile interpénétrabilité des cultures. Avec la séquence du repas notamment, où des Chinois américanisés sont confrontés à une primo-arrivante, Wang montre combien il est difficile de comprendre un pays autre que le sien et qu’en cas de réussite, on risque de ne plus connaître ses propres origines. Ce sujet trouve un écho dans l’actualité, où l’émergence de la Chine tient une place de choix. Le film pose l’épineuse question de la désinformation : peut-on dresser un portrait objectif de la Chine à travers les visions occidentales ? Sont-elles moins déformées que les esprits autochtones soumis à la propagande et la censure?

Wang n’apporte pas de réponse, ni même de véritable conclusion à son histoire, mais les questions implicites (peut-être involontaires ?) de son film suggéreront peut-être des réflexions chez le spectateur. Sinon, on y verra la languissante complainte d’une vie troublée, les errements d’une jeune Chinoise égarée. Dans le fond comme dans la forme, le film agacera ou fascinera. Jusqu’à cette intrigante scène finale, bercée par la voix extraterrestre d’Antony Hegarty.

Raphaël JullienEnvoyer un message au rédacteur

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