CARTOUCHES GAULOISES
Cartouches gauloises et cigarettes algériennes
Mehdi Charef a vécu la fin de la guerre d’Algérie alors qu’il n’était encore qu’un enfant. Il raconte ici son histoire, avec un timbre autobiographique qui donne du volume et de l’intensité à ce film a priori intimiste. Ali, 11 ans, son personnage et alter ego, occupe son temps entre la distribution des journaux dans le village et la construction d’une cabane de roseaux avec ses trois amis Français. Quand ils taquinent le ballon tous ensemble, ils prennent chacun le nom d’un joueur de l’équipe de Reims, comme pour mieux affirmer leur appartenance culturelle à la métropole que, par ailleurs, ils ne désirent pas connaître.
Mais le drame se noue : devenus indésirables, régulièrement pris à parti et agressés, les colons quittent leurs magnifiques propriétés avec piscine pour retourner en France – tandis que leurs enfants, eux, quittent brutalement le monde de l’innocence. Ali fait semblant de ne rien voir ; mais l’Histoire, éloignée des préoccupations de l’enfance, n’attend pas le nombre des années pour dérouler inexorablement son tapis tragique.
Au début du film, le père d’Ali quitte la maison pour rejoindre les maquisards dans les montagnes. Au réveil, Ali ne pose aucune question, il dira simplement, si on lui demande, que son géniteur est en voyage à l’étranger. La beauté de cette séquence provient du fait qu’elle donne au film son mouvement intérieur : ce sera, avant tout, l’histoire d’un départ. Départ espéré : celui de la prostituée dont Ali est amoureux, et qu’il va aider à quitter la ville avant que les soldats algériens ne découvre qu’elle a couché avec des Français. Départ détesté : les amis, les amours, dont la guerre atténue les contours.
Et nouveau départ, ground zero d’un pays qui s’extraie de ses propres cendres pour prendre un envol solitaire avec l’Indépendance mais qui, dans l’élan, piétine ses fondations. La guerre est cruelle, certes ; elle a son lot de victimes, de cadavres dans le placard ; mais est-il bon, pour autant, de la taire ? Le regard d’Ali suffit à exprimer toute l’absurdité d’un monde d’adultes incompréhensible, mais jamais de sa bouche ne sortira le cri libérateur. Sauf, exception, lorsqu’il aperçoit son père, visage tuméfié, l’espace de quelques secondes. Un intervalle suffisant pour que se joue le drame d’une vie, et celui de tout un pays.
Eric NuevoEnvoyer un message au rédacteur