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PAUL SANCHEZ EST REVENU !

Un film de Patricia Mazuy

Se faire un film (De la fabrication du cinéma)

Un criminel, activement recherché par toutes les polices depuis maintenant 10 ans pour avoir sauvagement assassiné sa femme et ses enfants, est signalé dans les environs du lieu du meurtre, dans le Var. Cette information, d'abord prise à la légére par la gendarmerie locale, va prendre corps peu à peu, sous l'impulsion de la jeune Marion, jeune gendarme de 25 ans qui s'empare de l'affaire et du journaliste local de Var Matin, en quête de gros de titre...

Tout est dit dans le titre de ce film. Sauf qu'en fait, pas du tout : il faut le lire attentivement, y compris avec son point d'exclamation, qui n'est pas là par hasard. C'est en effet moins à une affirmation objective (Paul Sanchez est revenu) qu'au déclenchement en chaîne d'émotions enflammées et de fantasmes souterrains (Paul Sanchez est revenu !) que nous donne à voir le singulier dernier film de Patricia Mazuy, réalisatrice dernièrement de "Sport de filles" en 2011 ou du remarqué à l'époque téléfilm "Travolta et moi".

En effet, plus qu'une traque d'un fugitif dans un paisible et banal village du Var, autour d'un rocher escarpé qui le surplombe, le film relate l'embrasement progressif que génére l'annonce de ce retour chez les protagonistes, de Paul Sanchez lui-même (excellent et hagard Laurent Lafitte) à la gendarmette Marion (têtue et fragile Zita Hanrot) jusqu'aux autorités locales (du chef de la gendarmerie au GIGN) et même de l'obscur correspondant local de Var Martin, chroniqueur retrospectif de cette troublante affaire.

C'est tout à la fois un fantôme et un fantasme qui est traqué (Paul Sanchez est désigné comme la bête de Gresivaudan, aperçu un peu partout dans le monde). Autour de ce vide attracteur (Paul Sanchez), le film relate tout autant l'emballement intime et la capture dans les rêves des autres. Chaque protagoniste est porteur de désirs et d'aspirations et le retour de Paul Sanchez agit comme un déclencheur, poussant chacun toujours plus loin dans la logique insensée de son propre délire personnel. Cette mécanique implacable de la projection, portée par un solide humour et une alternance de séquences naturalistes et de pure abstraction, est au coeur de ce film réjouissant qui en retour nous pousse à nous interroger sur nos propres désirs de spectateur, sur nos attentes vis-à-vis du film et des personnages, mais aussi sur ce qu'est une narration, ses piéges, ses ambiguités et ses manipulations.

Avec subtilité et talent, le film aborde des questions essentielles liées au cinéma (qu'est-ce qu'un personnage, qu'est-ce qu'une histoire et comment la raconter, qu'est-ce qu'un point de vue, qu'est-ce qu'une action, qu'est-ce qu'une croyance et comment fonctionne-t-elle...). En arrière-plan, le film fonctionne aussi comme une radiographie de la société médiatique (comment naît et se diffuse une "information") et d'un état de la société (aliénation, fantasme et recherche d'identité). A cet égard, comme tout le long de ce modeste film plein de finesse, le générique tout en bleu, blanc, rouge est une invitation, à qui sait être attentif aux détails en arriére-fond parsemant le film, à revoir sous un regard politique cette oeuvre aux accents étranges de western de poche.

Film passionnant, tant par l'histoire, troublante et mystérieuse, que par ses choix esthétiques (alternance des niveaux de narration, mouvements de caméra, importance des détails en arriére-plan, avec une mention spéciale pour la musique du film, qui tient une place décisive dans le climat et le rythme du film, fait suffisamment rare pour être souligné), "Paul Sanchez est revenu !" constitue une excellente surprise dans le désert estival et le ronronnement d'un certain cinéma français routinier.

Nicolas Le GrandEnvoyer un message au rédacteur

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