VIES LOINTAINES
La Bolivie nous offre le degré ultime du navet et de l’amateurisme !
On a connu programmation plus inspirée aux Reflets du cinéma ibérique et latino-américain de Villeurbanne, dont l’édition 2012 nous a infligé (oui, c’est le mot) cet objet filmique ingrat. On se demande ce qu’il y a de pire pour le cinéma bolivien : faire croire qu’ils n’ont aucune économie cinématographique en ne projetant aucun film, ou donner l’impression qu’ils n’ont aucun cinéaste talentueux en proposant un film comme « Vidas lejanas » ? On pourrait arguer que la Bolivie fait partie des pays les plus pauvres du monde, dont les moyens sont donc si faibles que leurs films ont forcément un aspect amateur et/ou kitsch. Mais les Reflets nous avaient gratifiés d’un film bolivien bien plus intéressant et abouti lors de l’édition 2006 avec « Di buen día a papá » (certes co-produit par Cuba et l'Argentine donc au budget sans doute un peu moins modeste). L’histoire du cinéma nous a en outre fourni de nombreux exemples de manques de moyens ayant été transcendés par la force du talent ! Force est de constater que « Okie » Cárdenas, le réalisateur de ce film, n’en a aucun – ou du moins, si on lui laisse le bénéfice du doute, qu’il l’a laissé de côté pour réaliser son premier long métrage, ce qui n’est évidemment pas un choix très pertinent.
Dans une interview, Cárdenas cite pêle-mêle des influences telles que Buñuel, Jarmusch, Fellini ou Jodorowsky. On est alors en droit de se demander s’il en a retenu quelque chose ! Il aurait paru plus sincère et cohérent s’il avait clamé son amour pour les telenovelas qui polluent les télés latino-américaines. S’il était français, on aurait pu dire que « Plus belle la vie » faisait figure de référence majeure à « Vidas lejanas » sans que ce film n'arrive à la cheville de ce géant télévisuel ! Au détour d’une scène qui alterne entre les deux protagonistes qui font leur toilette entièrement nues, on lorgne même vers l’érotisme kitsch des fameux téléfilms que M6 proposait jadis tous les dimanches soirs. En bref, nous atteignons ici le degré zéro de la création audiovisuelle poussé à son comble.
Tout est laborieux dans « Vidas lejanas » : le montage donne l’impression d’un collage aléatoire face auquel on reste souvent perplexe, les personnages ne bénéficient d’aucune construction psychologique ni même logique, le scénario procède par raccourcis lourdauds et n’aborde que trop tardivement les sujets les plus intéressants (la difficile émigration des Boliviens vers l’Espagne), la photographie n’offre aucune homogénéité (la notion d’étalonnage est totalement ignorée, évidemment !), la musique (souvent du synthé insupportable) est plaquée de façon maniaque sur tous les plans, avec des coupures à la tronçonneuse, etc. De plus, en optant pour des destins croisés, Cárdenas se rend la tâche encore plus compliquée qu’elle ne l’aurait été s’il s’était simplement astreint à une construction plus classique et linéaire. Mais n’est pas Iñarritu qui veut ! Quant aux performances des acteurs, elles atteignent le comble du ridicule et feraient passer « Amour, Gloire et Beauté » pour du grand art. Il faut dire qu’ils ne sont aidés ni par l’ineptie des dialogues ni par une abominable post-synchronisation (à moins que ce ne soit carrément du doublage ?). Seule Vivi Michelle Colombo (qui joue le rôle de Ximena) s’en sort plutôt honorablement, mais on ne peut pas dire que ce rôle lui ouvrira les portes de la gloire.
Finalement, ce film devrait être projeté dans toutes les écoles de cinéma en tant que contre-exemple absolu car il s’agit d’un véritable condensé de tout ce qu’on semble vouloir absolument éviter au cinéma. Voilà donc le seul avenir possible de ce navet hors norme, qui ne ravira même pas les fans de nanars qui aiment tant regarder les films avec dérision et second degré.
Raphaël JullienEnvoyer un message au rédacteur