Festival Que du feu 2024 encart

HACKER

Un film de Michael Mann

Spider-Mann

À Hong Kong, la centrale nucléaire de Chai Wan a été hackée par un logiciel malveillant. Cette attaque a détruit le système de refroidissement de la centrale, provoquant la fissure d’un caisson de confinement et la fusion de son cœur. Aucune tentative d’extorsion de fonds ou de revendication politique n’ayant été faite, le mystère reste entier sur les motivations de cet acte criminel. Peu après, à Chicago, une nouvelle attaque cybernétique provoque l’inflation soudaine des prix du soja. Un groupe de hauts gradés de l’Armée Populaire de Libération Chinoise charge alors le capitaine Dawai Chen, spécialiste de la défense contre les cyber-attaques, de retrouver et de neutraliser l’auteur de ce crime. Il est assisté par Carol Barrett, une agente chevronnée du FBI, qui encourage ses supérieurs à associer leurs efforts à ceux de la Chine. Mais face au défi que représente cette enquête, le capitaine Chen insiste pour que ses homologues américains libèrent sur le champ un célèbre hacker détenu en prison : Nicholas Hathaway...

Le monde est désormais une toile. Un réseau arachnéen où l’information virtuelle circule plus vite que les actions verbales, où les connexions médiatiques grouillent autant que les écrans qui les relaient, où une simple touche de clavier peut influer sur l’équilibre planétaire. Pour un cinéaste comme Michael Mann, attaché tout au long de sa filmographie à décrypter les mutations d’un genre (le polar criminel, en l’occurrence) pour mieux en dynamiter les règles établies, il y avait là un fabuleux pari de cinéma à tenter : plus question de dénicher une figure criminelle iconique, du truand romantique de "Heat" au gangster-gentleman de "Public Enemies" en passant par le tueur melvillien de "Collateral", mais d'en offrir une autre perspective, pour le coup la plus moderne. Cette fois-ci, le criminel n’est plus « visible », il s’agit d’un hacker, figure noyée dans l’océan virtuel du monde contemporain, d’autant plus redoutable que son objectif reste flou et ses actes criminels difficiles à anticiper.

Qui dit menace abstraite implique forcément une mise en scène capable de refléter ce phénomène sous un angle ludique et symbolique. Du pain béni pour Michael Mann, qui ouvre ici les festivités par la visualisation à l’échelle microscopique d’une attaque cybernétique : au travers de ces images à la fois inédites et graphiquement osées ne se dégage qu’un seul motif, celui de la circulation d’un flux, en l’occurrence d’un virus, au sein d’un espace vaste et interconnecté. En cinéaste embarqué depuis "Collateral" dans une vraie recherche expérimentale par le biais du filmage en vidéo haute définition, Mann sort donc la grosse artillerie en matière d’audaces stylistiques. Mais pas que : il est aussi – et avant tout – un grand cinéaste de l’intime, et réussit là encore à illustrer son point de vue symbolique lorsqu’il s’attache à dérouler simplement son intrigue.

Comme toujours chez lui, la trame policière se retrouve épurée au maximum, à la fois très linéaire et très basique – un pur jeu d’infiltration globe-trotter afin de coincer un black hat. Idem pour la dramaturgie à proprement parler, laissant ici de côté l’émotion et l’humanisme au profit d’une galerie de personnages au jeu volontairement intériorisé, capturés dans toute leur élégance par la caméra sensuelle de Mann quand celle-ci ne va pas jusqu’à générer chez nous une délicieuse électricité statique à force de frôler leur peau – il n’y a que Malick qui réussisse aussi bien à solliciter nos cinq sens dans chaque variation de plan. Là aussi, des figures abstraites qui semblent être le reflet de cette sphère virtuelle – écran, code, réseau, login, firewall, malware – grâce à laquelle ils prennent soudain leur autonomie. Jusqu’à ce que l’alliance se transforme en attirance, révélant alors cette « matière » brûlante qui se cache sous une chair soi-disant glaciale.

La mise en scène de Mann, là encore d’une sophistication radicale en dépit des changements incessants de formats de cadre et de points de vue, s’impose pour de bon comme l’anti-Paul Greengrass : au-delà d’une lisibilité à toute épreuve dans des scènes d’action toujours aussi survoltées et impressionnantes, on a surtout droit à une sensation de vérité et d’immersion si puissante qu’elle confine à l’hyperréalisme, au point de pousser l’œil du spectateur à guetter le moindre détail suspect dans chaque plan. Et c’est finalement cette façon de donner à son film des allures de quadrillage malin d’un globe devenu puits de perceptions faussées qui permet à Michael Mann de sublimer à nouveau son point de vue. Chaque intention de montage d’"Hacker" est en soi un moyen détourné pour capter l’évolution d’un phénomène abstrait par de simples choix de découpage et de format vidéo, un peu à l’image de ce que faisait Steven Soderbergh dans son étude de la propagation du capitalisme ("Girlfriend Experience"), de la pandémie virale ("Contagion") ou du mensonge généralisé ("Effets secondaires").

Par exemple, une simple poursuite capturée en caméra portée au sein même d’un environnement sans cesse transformé – le film voyage autour du globe en 2h13 – ou chaotique – on passe du brouhaha des rues nocturnes de Hong-Kong aux quartiers délabrés de Jakarta – est en soi un schéma, celui de la circulation de particules qui s’agitent et qui se cherchent. Surtout une : un hacker libéré sur contrat (Chris Hemsworth, en tous points impeccable) qui n’active sa propre « mise à jour » interne que dans le but d’accéder rapidement d’un point A vers un point B, en exploitant à chaque fois tous les moyens possibles pour atteindre son objectif – y compris celui de pirater le site de la NSA par spam interposé.

D’où un récit captivant, tendu et jamais relâché, qui ne fonctionne qu’en termes de tempo et de transfert, collant aux basques de son antihéros, épicentre d’une équipe soudée, embarqué dans un mouvement à la fois réflexif – il lui faut dénicher le vrai du faux dans des lignes de code – et pulsatif – il lui faut utiliser son instinct pour que l’enquête accélère. Jusqu’à un crescendo final tout ce qu’il y a de plus logique, où le face-à-face tant attendu avec l’ennemi, orchestré au beau milieu d’une cérémonie indonésienne, se fait à contre-courant du mouvement général d’une parade où tout le monde porte un masque : deux mouvements qui se croisent, l’un dissimulé, l’autre à découvert. Juste des flux parmi tant d’autres, composant une toile planétaire où tout n’est que virtuel, transfert et circulation d’énergie. Bienvenue dans la Matrice.

Guillaume GasEnvoyer un message au rédacteur

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