DES TROUS DANS LA TÊTE
Pas seulement un film
Hommage au cinéma des années 20, « Des trous dans la tête » s'inscrit avec bonheur dans l'étrange filmographie de Guy Maddin, réalisateur canadien, habitué à jouer avec le noir et blanc et le muet. Après le ballet muet « Dracula : Pages tirées du journal d'une jeune vierge » et l'inquiétant « The saddest music in the world », le voici qui tente une nouvelle expérience : le film muet accompagné en direct au niveau musical. Malheureusement, ce sera rarement le cas en salles, où sera distribuée une version avec montage sonore. Ce fut le cas cependant aux festivals de Toronto, New York et même Berlin, dont l'opéra a accueilli une représentation, avec orchestre, bruiteurs et une narratrice de choix : Isabella Rossellini.
Le résultat est assez stupéfiant tant au niveau visuel et sensoriel qu’au niveau scénaristique. Maddin a tourné le film en super 8, dans un noir et blanc au grain épais, accompagné de nombreux caches, qui lui permettent de jouer avec des ombres omniprésentes et une réduction du champ visuel inquiétante, qui servent remarquablement une histoire cauchemardesque et romantique. Le montage, haché, presque épileptique, offre de multiples sauts, provoquant un effet d'accélération de certaines scènes, renforcé par la répétition volontaire de nombreuses images. Ici, l'impact sensoriel compte finalement plus que le récit lui-même, le réalisateur superposant panneaux commentant histoire et narration (parfois au diapason, parfois complémentaires), introduisant des éléments anxiogènes, tels des cris ou des voix étrangement déformées comme par un mauvais signal radio.
Quant au scénario, les souvenirs d'enfance - goût pour le mystère et l'enquête, premiers émois -, se mêlent à une vision terrifiante d'une mère autoritaire, alliant contrôle et affection envahissante, et à celle d'un père fantomatique, en permanence enfermé dans son laboratoire, à part pour sortir la nuit et s'immiscer dans la chambre de sa femme. La dimension horrifique du récit se double d'inventions amusantes, comme l'aérophone, sorte d'électrophone à tuba qui sert aux personnes qui s'aiment à communiquer à distance. Sans jamais se départir d'un ton mêlant aventures adolescentes et fantastique kitsch, Guy Maddin compose devant nous une étrange histoire de rajeunissement, d'hypnose, de trouble des genres et d'émancipation, qui fascine par l'originalité de son traitement.
Olivier BachelardEnvoyer un message au rédacteur