LA DAME DE FER
Un portrait bien conformiste pour un personnage plus que controversé
Le 3 mai 1979, Margaret Thatcher devient la première femme premier ministre de sa Majesté. Pendant plus de onze ans elle régnera, inflexible, à la tête du gouvernement britannique, réalisant ainsi le plus long mandat de “prime minister” depuis 200 ans. Une bien belle destinée, qu’on citerait aisément en exemple, si le conservatisme intransigeant de la Dame de fer ne faisait encore polémique. Admirée par certains pour avoir redressé la situation économique du pays, elle évoque pour les classes populaires de bien sinistres années. Partisane d’une politique ultralibérale, elle lamina les budgets sociaux au profit d’une grande vague de privatisation des entreprises publiques, muselant les syndicats et creusant les inégalités de revenus.
Vous l’aurez compris voilà un sujet fort épineux, qu’il ne vaut mieux pas traiter à la légère. C’est malheureusement ainsi que Phyllida Lloyd (« Mamma mia ! ») a décidé d’évoquer la vie de Margaret Thatcher. Sa mise en scène, fort classique, correspond certes au traditionalisme du personnage, mais n’apporte rien d’innovant au genre “biopic” très en vogue ces dernières années. La narration use de flashbacks tout en respectant une chronologie convenue. Au travers des souvenirs d’une vieille dame sénile, la réalisatrice évoque la carrière de cette femme en survolant sa vie privée autant que son parcours politique. Pour le commun des mortels, non féru d’histoire, voici une succession d’événements fort peu didactiques, où il est difficile de faire le lien entre les propos de la dame de fer et les images d’archives.
Seule la guerre des Malouines est traitée plus en détail, le personnage imposant ici sa force de décision implacable. Une mise en scène lyrique porte alors l’héroïne au triomphe. Pour éponger le sang coulé au service de la couronne, la caméra s’attarde sur Margaret Thatcher s’appliquant à écrire personnellement aux mères des soldats décédés. À bien y regarder Phyllida Lloyd prend parti du côté des conservateurs, en faisant de son personnage une héroïne chaleureuse, voire un tantinet sexy !… comme dans cette scène quasi romanesque où elle arpente souveraine les salons de l’Élysée pour célébrer la fin de la guerre froide. En ne soulignant que les grandes heures de la dame de fer, elle réduit les tensions qui ont jalonné son mandat au rang d’anecdotes. Du conflit avec l’IRA, l’auteur ne mentionnera que les attentats qui ont failli lui coûter la vie ou tuer son plus proche conseiller, pour passer rapidement sur les prisonniers irlandais morts, suite à une grève de la faim. Idem pour le long conflit qui l’opposa aux mineurs en 1984.
En cette période de crise économique, rendre hommage à l’une des plus grandes icônes du libéralisme est plutôt malvenu. Cependant, le film trouve son unique salut dans l’interprétation époustouflante de Meryl Streep. Composant avec toutes les caractéristiques physiques du personnage, l’actrice contourne les faiblesses du scénario en nous offrant une magnifique performance. Outre le maquillage, elle reproduit la gestuelle de la dame âgée avec un naturel inouï, et sa diction “so british” nous ferait oublier qu’elle est native du New Jersey. Avec ce personnage haut en couleurs, Meryl Streep ajoute un nouveau trophée à son prestigieux tableau de chasse, prouvant une nouvelle fois qu’elle est définitivement une des meilleures actrices du moment.
Gaëlle BouchéEnvoyer un message au rédacteur