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LE TOURNOI

Un film de Élodie Namer

Partie à risques

Un important tournoi d’échecs prend place dans un grand hôtel de Budapest. Le jeune champion de France, Cal Fournier, 22 ans, est considéré comme le grand favori. Mais s’il combat ses adversaires avec une agilité incroyable, il n’en reste pas moins immature, programmé pour la victoire et clairement déconnecté du monde. Ses acolytes et sa petite amie, Lou, ne cessent de le plonger dans une suite de jeux et de paris permanents. Cal va cependant perdre ses repères le jour où il tombe sur un nouvel adversaire, pour le coup imprévisible et inattendu…

Le film sur les échecs, ça n’est pas si fréquent que ça et, en général, ça n’est pas si réussi que ça. Celui concocté par la jeune réalisatrice Elodie Namer s’inscrit d’abord dans un cadre déjà exploré dans "La diagonale du fou" de Richard Dembo : les championnats d’échecs. Mais pas de duel politisé à l’horizon ni même de vertige mathématique sur les capacités de calcul du champion. Non, "Le Tournoi" colle aux basques d’un jeune champion, immature et limite tête à claques, programmé pour gagner sous les conseils d’un coach particulièrement exigeant. Pour lui, tout n’est que jeux, paris, calculs, règles et probabilités, ce qui tend à le couper des lois du monde extérieur. Jusqu’au moment où un nouvel adversaire surgit : un jeune enfant de huit ans qui n’a pas eu besoin de coach pour apprendre les diverses stratégies du jeu d’échecs et que personne n’a pour l’instant réussi à battre. Ça sent le défi…

On voit d’ici le programme du scénario : le champion pris de doute devant la maîtrise d’un adversaire qu’il n’arrive pas à cerner, le repli sur lui-même devant la peur de perdre, le désir d’émancipation au détriment d’une compétition qui finit par le ronger de l’intérieur, etc. Durant une bonne heure, Elodie Namer prend soin d’entrechoquer toutes ces pistes narratives avec une maîtrise d’autant plus surprenante qu’il s’agit d’un premier film. Sa mise en scène, à la fois stylisée et travaillée (ce qui lui vaudra à coup sûr l’ire des défenseurs du naturalisme), arrive à investir cet univers fascinant qu’est la compétition d’échecs pour en faire une sorte de cocon fluctuant, où le décor figé des duels – une salle unique – cache un autre décor, bien plus instable celui-là. C’est là que le héros perd ses repères, noyé dans un bain d’excès juvéniles (soirées-piscine, sexe dans la chambre, jeu de chat dans l’hôtel, etc.) sans pour autant bénéficier d’une réelle autonomie – son coach lui ordonne de ne pas prendre de risques. Une désorientation nimbée de peur que Namer arrive à évoquer par des cadrages obliques et une bande-son assez hétéroclite, où l’électro nerveuse se mixe à des sonorités oppressantes.

Mais sans forcément suivre les codes du film mental, cette sorte de cauchemar parano se heurte vite à un gros souci : la porte de sortie. C’est là que le sort du film allait se décider : une fois que la partie d’échecs est bien avancée et la situation de plus en plus délicate, quel est le bon calcul à effectuer pour agencer correctement ses pièces et gagner par échec et mat ? Et c’est là que Namer révèle ses faiblesses de novice. En plus de privilégier une romance gadget entre le « roi » et sa « reine » (Lou de Laâge), la rébellion de son protagoniste frise l’inconsistance, celle-ci se limitant à le voir passer le balai dans un bar (parce qu’il lui faut reprendre le contrôle de son corps, merci, on a compris…) et contempler le soleil levant sur Budapest en compagnie d’une femme de chambre. À croire que la rébellion passe ici moins par la métamorphose que par le retour basique à la normalité. Cette sortie consensuelle a vite fait de faire perdre sa partie à la réalisatrice. Mais le jeu en valait la chandelle : de par sa maîtrise visuelle, ce premier film reste encourageant.

Guillaume GasEnvoyer un message au rédacteur

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