UNDER THE SKIN
Expérience d'un autre monde
Jonathan Glazer est habitué à malmener le public et à diviser la critique. Son précédent film, "Birth", troublante tragédie autour du ressenti du deuil, avait déjà éprouvé plus d'un spectateur. Sa dernière œuvre, déroutante, présentée en compétition au Festival de Venise 2013, ne déroge pas à la règle, et devrait donner du fil à retordre aux cerveaux les plus prolifiques et imaginatifs. Car "Under the Skin" est non seulement difficile d'accès, mais sa forme contemplative et son rythme lent en découragera plus d'un. Mais le voyage vaut néanmoins le détour.
Sur un fond noir, un œil se forme progressivement, alors que des bribes de paroles se font entendre, comme quelqu'un qui apprendrait une langue. Une voix de femme semble parler de « ressentir » (to feel) et de « film », mais aussi de « piège »... L'ambiance est déjà lourde et l'intérêt attisé. Mais le mystère s'épaissit. Un motard s'arrête au bord d'une route et ramasse le corps d'une jeune femme, vraisemblablement morte. Une autre femme, apparemment sosie de la défunte, récupère ses vêtements et sa camionnette, et par en quête d'hommes seuls... demandant son chemin ou les suivant dans des bars.
Interpréter la parabole d'ensemble peut se faire à différents niveaux, et s'avère difficile sans dévoiler tout de cette intrigue aux apparences répétitives. On dira seulement qu’"Under the Skin" traite de l'inégalité des hommes face aux apparences et à leurs défauts génétiques, de l'incapacité d'une société à accepter la différence et de la violence qu'elle entretient. C'est quand la supposée extra-terrestre commence à explorer une forme d'humanité (l'usage de ses cinq sens...) que la peur change irrémédiablement de côté, et que face à trop de liberté se met en place un système de régulation.
Indéniablement la forme du film déroute un temps, que ce soit par son esthétique épurée faisant appel aux rudes paysages d’Écosse, à son traitement sonore convoquant une musique faite de violons stridents, que par le fond, allant creuser du côté des pires instincts humains. Comme le titre l'indique, « sous la peau » nous sommes potentiellement tous pareils, l'humanité semble devoir toujours courir vers la même fin. Et c'est en construisant devant nos yeux un troublant cycle où la violence de l'homme s'exprime et où son ignorance s'affirme comme inéluctable, que Jonathan Glazer finit par viser juste, offrant au passage un rôle bien ambiguë à une Scarlett Johansson toujours plus sublime que jamais.
Olivier BachelardEnvoyer un message au rédacteur