LA NOSTRA VITA
Le visage peu glorieux de l’Italie d’aujourd’hui
Après le séduisant “Mon frère est fils unique”, qui retraçait le destin divergeant de deux frères dans l’Italie des années 60-70, Daniele Luchetti revient sur les écrans français avec un film plus intimiste, sur le parcours d’un homme et père, écrasé par de lourdes responsabilités. Hormis le premier quart d’heure, lumineux et un peu mièvre, dépeignant le bonheur initial de la famille de Claudio, “La Nostra Vita” est un long métrage plutôt froid, axé sur la reconversion d’un homme bon en contremaître véreux.
Argent de la drogue et de la prostitution, chantiers non conformes aux normes de sécurité, emploi d’immigrés clandestins payés au lance-pierre, étouffement des accidents pour ne pas ralentir les travaux... Les pires agissements sont de mise, donnant à voir une Italie corrompue et enfermée dans une forme de perversité pécuniaire. Le racisme, autre fléau local, est aussi montré dans toute sa banalité : ce que suggère Claudio à sa nouvelle amie à la recherche d’ouvriers - “les noirs ne savent pas construire des toits” (car ils n'en ont pas besoin là d'oû ils viennent) - semble en effet ne choquer personne, tant ce type de langage est courant dans les milieux ouvriers.
Néanmoins, si le film joue bien son rôle de vitrine sociale, il reste un peu trop en surface des hommes et de leurs sentiments. Le personnage de Claudio, opaque et versatile, n’autorise pas qu’on s’attache à lui. Ses actes, souvent inconséquents étant données ses responsabilités, trouvent difficilement une rationalité et une crédibilité. C’est bien dommage, car son interprète Elio Germano (déjà dirigié par Luchetti dans “Mon frère est fils unique”) est littéralement habité. Crevant l’écran de sa présence et de son bagout romain, c’est la véritable révélation du film et le jury du Festival de Cannes ne s'y est pas trompé, en lui décernant le prix d'interprétation (ex-aequo avec Javier Bardem pour « Biutiful »).
Par ailleurs, la narration souffre de quelques raccourcis douteux, donnant l’impression qu’il manque des bouts : les liens entre les personnages (entre Claudio et la famille roumaine, notamment) se nouent un peu vite ; les problèmes d’argents, insurmontables au début, s’avèrent finalement presque simples à résoudre. Surtout, Luchetti rate sa fin, en essayant vainement de raccrocher les wagons d’un seul coup. Résultat : on garde de ce film une impression tiède, que même le merveilleux souvenir de Claudio entonnant avec ses tripes la chanson préférée de sa femme, ne parvient pas à réchauffer.
Sylvia GrandgirardEnvoyer un message au rédacteur