ANTON TCHEKHOV - 1890
Histoire(s) de famille(s)
René Féret, réalisateur prolifique, discret, au cinéma intimiste et généreux, se penche sur un nouveau personnage historique, après la sœur de Mozart dans "Nannerl" (2010). Anton Tchekhov est une figure qui lui ressemble, un esprit qui l’inspire. L’auteur de La Mouette a en effet plusieurs points communs avec le cinéaste français : la famille et une certaine simplicité.
Pratiquement tous les longs métrages de Féret sont des films de famille. Déjà parce qu’ils traitent souvent de ce sujet, ensuite parce qu’il a créé autour de lui une vraie famille de cinéma (avec les Stévenin – Jean-François, Salomé, Robinson –, avec Frédéric Pierrot et Nicolas Giraud, qu’il retrouve ici…) et puis enfin parce que sa propre famille est soit devant, soit derrière la caméra. Son épouse – Fabienne – est ici à nouveau productrice et monteuse, et ses filles jouent encore la comédie pour leur père, telle Marie Féret qui occupe, comme dans ses précédents longs métrages, un rôle important dans ce "Anton Tchekhov 1890".
Autre point de ressemblance : une certaine forme de simplicité dans le sens où Tchekhov et Féret sont chacun à mille lieues du grand luxe et de la grandiloquence, le premier alors qu’il aurait pu jouir d’un faste autrement plus marqué, avec le succès qu’il a connu, et le second dans l’expression de son cinéma « de la vie », sobre et sincère. Un cinéma de vérité et d’émotion qui fonctionne sans effets inutiles et qui touche simplement, notamment grâce au jeu des acteurs qui expriment ni plus ni moins l’être des personnages qu’ils incarnent.
Mais l’écrivain russe n’était pas seulement un homme simple et "Anton Tchekhov 1890" nous permet de mieux cerner la complexité qui habitait ce savant (il était médecin et fasciné par les progrès de la science) et homme de lettres (qui écrivait « comme on mange des crêpes » tant cela était facile pour lui). On suit aussi son parcours du cœur entre ce trop plein d’amour qu’il porte à ses frères et à sa sœur, et ce désert affectif envers les femmes qui sont pourtant nombreuses à lui courir après (« L’amour est un piège, il ne m’intéresse pas », dit-il à celle qui s’embrase pour ses beaux yeux).
Mais l’un des événements les plus intéressants de sa courte vie (il meurt à 44 ans) réside dans l’exploration de l’île de Sakhaline, où il restera trois mois pour témoigner des difficiles conditions de détention des prisonniers de ce petit bout de terre, et où il fera la connaissance d’une jeune femme, « une perle au milieu de cet enfer » comme il le dit. Un voyage en forme de promesse qu’il avait fait à son frère précocement disparu et qui alimentera son expérience de vie et ses futurs récits.
Mathieu PayanEnvoyer un message au rédacteur