LE BAL DES MENTEURS : LE PROCÈS CLEARSTREAM
Lorsque la réalité est si rocambolesque qu’elle en devient film
Du 21 septembre au 23 octobre 2009 s’est déroulé, au palais de Justice de Paris, le procès de l’affaire Cleastream. Dominique de Villepin était accusé par Nicolas Sarkosy d’avoir falsifié des listings comportant des noms de personnalités ayant des comptes douteux, et d’y avoir mis son nom, pour jeter l’opprobre sur lui et ruiner sa carrière politique. En se défendant, Sarkozy compte bien prouver qu’il est innocent, et attirer les foudres sur De Villepin le manipulateur…
Rarement documentaire aura aussi bien porté son nom : « Le Bal des menteurs ». Bienvenue dans le monde politique, où semble-t-il tous les coups sont permis, d’une part pour se faire bien voir, mais également pour déstabiliser l’adversaire. L’origine de l’affaire, à savoir ces listings falsifiés, est assez cocasse. Non pas que ce ne soit pas grave (des gens innocents ont visiblement retrouvés leurs noms accolés à ceux de gens malhonnêtes), mais parce que son établissement est assez rocambolesque, la diversité des noms (Alizée, Laetitia Casta), portant franchement atteinte à la crédibilité de la liste. C’est en cela notamment une affaire assez ridicule, qui aurait du rester dans l’ombre.
Mais elle fut portée au grand jour, parce que des journalistes sont tombés dessus. Et ce n’est certainement pas un hasard, car semble-t-il, des manipulateurs dans l’ombre leur ont mis les documents sous le nez. Les journalistes crièrent donc au scoop. Sarkozy, fou de rage, porta plainte (c’est son droit), mais plus encore jura de planter les coupables sur des « crocs de boucher ». Sarkozy hurla qu’il voulait se venger et voulait du sang, comme si son fils Jean avait été tabassé après son délit de fuite en scooter. Mais Sarkozy a « simplement » vu son nom sur un faux listing, et la terre entière devait être au courant. Peu importe si cela réveille un pékinois à l’autre bout de la terre. On ne s’en prend pas à Monsieur le président de la république.
En suivra ni plus ni moins un combat de coqs. Sarko était de toute évidence victime, et voulait faire comprendre que le grand méchant De Villepin était le manipulateur qui a fait mettre son nom dans le listing ceci pour ruiner sa carrière (il est vrai que cela aurait pu marcher, et les conséquences auraient été catastrophiques). Dans la foulée, Sarko, toujours président de la république française, élu par les français (il aime tant le rappeler...), proclama, en direct, au journal de 20h, que la justice ferait son travail et que les coupables seraient jugés. Étant lui-même avocat, il savait qu’il devrait dire « les présumés innocents ». Mais Sarkozy semble écrire l’histoire comme il le souhaite...
C’est avec un œil acéré que Daniel Leconte retrace ce procès, revient sur chacun de ses éléments, et va jusqu’à faire témoigner devant sa caméra une bonne partie des prévenus, qui s’expliquent, encore. A quasiment chaque interview, ils nous donnent du « c’est pas moi, c’est l’autre », si bien que cette phrase, « le bal des menteurs », sortie par Imad Lahoud, donne une idée vraiment bonne de ce qui se trame. C’est d’ailleurs de toute évidence ce dernier qui a entré dans les tableaux Excel les noms demandés. Il fait donc peu de doute sur sa culpabilité (il a d’ailleurs été condamné en première instance, avant qu’un appel ne soit demandé et qu’il soit à nouveau « présumé innocent »). Jean Louis Gergorin, un des autres hommes de l’affaire, semble également peu propre sur lui. Le mystère se porte donc sur De Villepin, celui contre lequel s’acharne Sarkozy. Et les éléments sont troublants. Ses sourires à chaque entrée et sortie de tribunal donnent l’image d’un type sympa, et droit, mais son nom dans les notes du général Rondot, un des intervenants qui notait tout, porte le trouble.
Le film est franchement enlevé. La caméra passe du témoignage de l’un à l’autre, avant de revenir en 2009 au tribunal, en live, et de s'attarder sur leurs déclarations de l’époque. C’est cocasse. Un vrai feuilleton politico-financier que l’on suit comme s’il s’agissait d’une pure fiction. Mais il s’agit on ne peut plus réellement d’un duel au sommet de l'État. Sarkozy, qui est déjà dans la lumière, fait donc ce qu’il peut pour briller encore, De Villepin, prétendu bourreau, se pose en victime d’un acharnement.
Encore une fois, on en sort avec la conviction que peu d'hommes politiques sont intègres. Un des avocats, mis devant l’évidence du mensonge de son client, proclame que de toute façon tout le monde ment. On en est là. La justice a du boulot. Et nous on se divertit devant un bon film…
Ivan ChaslotEnvoyer un message au rédacteur