ILO ILO
Un premier film d’une fraîcheur et d’une justesse confondantes
Présenté à la Quinzaine des réalisateurs au festival de Cannes 2013 (et auréolé de la Caméra d’or), ce premier film d’un tout jeune cinéaste singapourien a surpris bon nombre de festivaliers par ses nombreuses qualités. Derrière une trame somme toute assez banale (un enfant finit par préférer sa nounou à sa propre mère), se révèle une touchante comédie sociale riche de sens. En effet, outre la vaste question de l’immigration en Asie, "Ilo Ilo" en dit long sur la crise économique qui touche de plein fouet les classes moyennes, ses conséquences sur la cellule familiale, le mépris qu’elle génère entre les peuples et, plus subtilement, la solitude qu’elle crée chez les millions de femmes et d’hommes qui migrent seuls (illustrée ici par le personnage de Teresa), loin de leurs proches, en quête d’une vie meilleure.
Usant d’un schéma narratif relativement classique, Anthony Chen se démarque par la générosité de sa mise en scène : les séquences, plutôt longues, embrassent les situations et créent les conditions de l’immersion, donnant à voir les personnages dans toute leur vérité (la mère est d'une cruauté troublante, le fils parfaitement incontrôlable) et leur fragilité. Soulignons d’ailleurs la qualité exceptionnelle de la direction d’acteur et de l’interprétation du trio de tête (la mère, son fils et sa nounou), criant de justesse. De quoi nous rappeler que le jeu d’acteurs des petites productions asiatiques que l’on découvre en festival est souvent bien au-dessus des prestations auxquelles le cinéma occidental nous a habitués.
Avec beaucoup d’humilité, "Ilo Ilo" nous embarque ainsi dans une aventure humaine d’une grande sensibilité, où l’on suit avec tendresse les frictions puis réconciliations de personnages tous plus attachants les uns que les autres. Une aventure qui nous réserve d’ailleurs quelques scènes d’une grande force (telles que l’effroyable scène de punition publique ou celle, absolument touchante, du premier rapprochement entre Teresa et l’enfant), contribuant à faire de son visionnage un véritable enchantement. Pour couronner le tout, le métrage ne manque pas d’humour, évitant ainsi royalement tout risque de misérabilisme. Un petit film qui a tout d'un grand.
Sylvia GrandgirardEnvoyer un message au rédacteur