SWEENEY TODD
Le barbier aux lames d’argent
Après avoir passé quinze années dans une prison australienne, le barbier Benjamin Barker revient à Londres sous le nom de Sweeney Todd afin de se venger de ceux qui l’ont injustement accusé, et en particulier du juge Turpin qui lui a pris sa femme Lucy et sa fille Johanna. Il rouvre son échoppe de barbier, située au-dessus de la boulangerie de Mme Lovett, et avec la complicité de celle-ci, se met à égorger systématiquement les clients qui viennent se faire raser la barbe…
Le film débute par un retour : celui de Sweeney Todd, alias Benjamin Barker le barbier, qui revient à Londres pour se venger après quinze ans d’emprisonnement injustifiés. Il n’est pas difficile d’y voir, pour Tim Burton, la métaphore de son propre retour à un cinéma moins grand public, après quelques succès d’estime qui avaient fait grincer des dents ses fans de la première heure ("Big Fish" » et "Charlie et la chocolaterie" furent en ligne de mire des habituels burtoniens, sans même évoquer le très mauvais remake de "La Planète de singes" avec, déjà, Helena Bonham Carter). "Sweeney Todd" est, en effet, plus hermétique que les œuvres susdites, mais cette sombre histoire de barbier à la lame vengeresse perd en populisme ce qu’elle gagne en audace et en pessimisme (voir, en ce sens, le finale glauquissime), renouant ainsi avec le meilleur de la carrière du monsieur. Le parti pris de conserver telles quelles les chansons du drame musical dont le film est adapté illustre bien, de la part de Burton, la volonté d’opérer immédiatement un choix entre ceux qui voudront bien le suivre, et ceux qui décrocheront dès les premiers instants. Tant mieux : ainsi, le ménage est tout de suite fait.
La tonalité multiple du film (poétique, ironique, esthétique) est révélée dès la première séquence du métrage : sur le pont d’un navire qui fend la brume de la Tamise, le jeune et beau matelot Anthony chantonne son bonheur de voir à nouveau la merveilleuse ville de Londres, la plus belle des cités qu’il aie vues durant son long périple à travers le monde ; immédiatement, la caméra pivote et cadre un Sweeney Todd plus sombre que jamais, une mèche blanche intruse donnant à son visage un aspect spectral, qui contredit son compagnon en chantant les inconvénients de Londres, sa saleté et sa corruption. En quelques secondes à peine, la noirceur du propos prend donc le pas sur la jeune et colorée vision de l’optimiste matelot. A partir de là, le spectateur ne quittera que rarement le point de vue du barbier sanglant, témoin privilégié du déclin d’un monde en voie de pourrissement.
Adaptation filmique d’un drame musical de Stephen Sondheim et Hugh Wheeler qui ensanglanta les planches de Broadway, spectacle lui-même tiré d’une légende londonienne du XVIIIe siècle, "Sweeney Todd" permet à Burton de barboter joyeusement dans un mélange de genres cohérent et réussi. On passe ainsi des prestations musicales éclatantes (les acteurs chantent eux-mêmes leurs morceaux) à un cinéma gore et sans concessions, mais toujours pimenté d’une pincée d’humour et d’un cynisme appuyé, cynisme qui s’était discrètement retiré dans les précédents films du maître et qui fait ici son grand retour.
On sent bien, tout au long des cent quinze minutes que dure le film, que Burton a trouvé dans cette évocation d’un Londres théâtral et musical un décor à sa mesure, peuplé par les meilleurs comédiens qui puissent se fondre dans un tel univers déjanté et décalé sans devenir ridicules – tandis que Depp et Carter composent des personnages extravagants avec minutie, le méchant Alan Rickman et le faux barbier italien Sacha Baron Cohen viennent ajouter, avec une justesse millimétrée, leur grinçante ironie. Il en profite même, à travers ces litres d’un sang rouge pétant qui vient littéralement repeindre une scène aux teintes mortellement noires et grises, pour rendre hommage au cinéma italien bis que l’on adore tant (Dario Argento et Mario Bava en tête), et avec une certaine classe. Si le film commençait par un retour, il se clôt donc par une affirmation : le Tim Burton que l’on aime n’a pas fini de nous faire plaisir.
Eric NuevoEnvoyer un message au rédacteur