DAVID LYNCH : THE ART LIFE
An inspired head before Eraserhead
Parler du talent – voire du génie – de David Lynch est du même ressort que de parler de ses films : mieux vaut les recevoir et les ressentir plutôt que de chercher à tout prix à en décoder la logique – même si celle-ci se devine très clairement après une poignée de visions. Mais l’hybridation – tant visuelle que sonore – qui caractérise son cinéma a néanmoins valeur d’analyse au vu des ponts que le cinéaste arrive à tracer entre la logique discursive de l’art filmique et la logique intuitive de l’art contemporain. Que ce documentaire laisse de côté son travail de cinéaste pour se focaliser sur l’avant-"Eraserhead" – à savoir les longues années qu’il passera à étudier les beaux-arts – est une chance inespérée pour les néophytes qui souhaiteraient déchiffrer l’énigme Lynch. Filmé dans un coin de son atelier en pleine nuit avec juste un micro face à lui, David Lynch se livre comme jamais il ne l’avait fait. Mais si vous espérez ouvrir enfin la boîte bleue de "Mulholland Drive" ou déceler le mystère de l’homme mystérieux de "Lost highway", vous avez clairement frappé à la mauvaise porte.
La première satisfaction est de saisir à quel point les événements les plus marquants de son enfance ont su se répercuter dans ses œuvres antérieures. À titre d’exemples, le souvenir d’une séparation à la suite de la naissance de sa fille Jennifer (aujourd’hui réalisatrice) révèle implicitement le sujet central d’"Eraserhead" (la peur de la paternité), et sa tristesse empathique devant la vision d’une femme nue errant au milieu de la nuit renvoie évidemment à une scène-phare de "Blue Velvet" où Isabella Rossellini se retrouvait dans une situation similaire. Quant à ses peintures, montées en fonction de ce que Lynch évoque en voix off, elles permettent de saisir à quel point l’artiste ne vit que pour capturer ses angoisses sur un format artistique, qu’il s’agisse d’un film ou d’une toile peinte. En sondant la méthode Lynch dans tout son caractère créatif et autiste (on sent chez lui une profonde solitude en dépit de la présence récurrente de ses enfants), les deux réalisateurs de ce documentaire contournent le fan-service et offre une perspective intéressante en décryptant la création d’un art (le cinéma) par le biais d’un autre (la peinture) qui lui est finalement relié. Les inconditionnels de Lynch auront beau juger le résultat avare en informations inédites (et c’est hélas très vrai), voir un génie créatif ouvrir son jardin secret en prenant soin de ne pas nous laisser les clés a quelque chose de réellement fascinant.
Guillaume GasEnvoyer un message au rédacteur