MOWGLI : LA LÉGENDE DE LA JUNGLE
Il en faut plus qu’un peu pour être heureux !
Sortie le 7 décembre 2018 sur Netflix
Cette nouvelle version du "Livre de la jungle" a connu une longue et chaotique production, en parallèle du projet concurrent de nouvelle adaptation Disney par Jon Favreau, présentant lui aussi un mélange de prises de vues réelles et d’animation par captures de mouvement. Enfin diffusé grâce à un achat par Netflix, "Mowgli" bénéficie sans doute de la présence d’Andy Serkis aux manettes. Si l’acteur n’a encore qu’une faible pratique de réalisation (aux commandes de la deuxième équipe sur la trilogie "Le Hobbit" de Peter Jackson, puis metteur en scène du drame intimiste "Breathe"), son immense expérience de la capture de mouvements est un atout majeur – et il en profite même pour ajouter Baloo à la longue liste de personnages cultes qu’il a interprétés avec cette technologie. Partiellement influencé par les franchises auxquelles il a participé, il met à profit le savoir-faire d’Imaginarium, la société qu’il a co-créée en 2011. Visuellement, le résultat est globalement accompli et réjouissant.
La version animée de Disney de 1967 est tellement inscrite dans l’inconscient collectif, que l’on finit par oublier ou ignorer le caractère sombre de l’œuvre littéraire d’origine. Il convient ainsi de reconnaître au moins une qualité majeure à cette nouvelle adaptation : revenir aux sources et rappeler que le recueil de nouvelles de Rudyard Kipling n’est pas fait pour les plus petits. La photo privilégie donc une ambiance majoritairement obscure voire nocturne (contrairement à la version de Jon Favreau), et le caractère de certains personnages s’écarte du manichéisme aseptisé auquel Disney a habitué des générations entières, notamment pour Baloo (qui n’est pas un ours bon-vivant mais un vieil éducateur au physique plutôt ingrat, qui apprend la dureté de la vie aux louveteaux et à Mowgli) ou encore pour Kaa (ici féminisé, le python est à la fois la mémoire de la jungle et une sorte de prophète inquiétant mais pas malveillant).
Malgré cette fidélité dans le ton, le scénario se permet des libertés, plus ou moins heureuses. La transposition du chacal Tabaqui en hyène ricaneuse et risible, s’avère aussi agaçante qu’inutile, et c’est à peu près le même constant pour le jeune loup albinos Bhoot, créé spécifiquement pour cette adaptation. Si l’on peut s’interroger sur la pertinence de donner au chasseur l’identité de John Lockwood Kipling (c’est-à-dire le père de Rudyard), ce protagoniste possède un réel intérêt dramaturgique : il complexifie les tiraillements de Mowgli entre son humanité et les liens profonds qui l’unissent aux animaux de la jungle, et il permet de retravailler la mort de Shere Khan avec l’implication des éléphants, plus spectaculaires que les buffles qui interviennent dans l’œuvre originale.
Au final, cette énième variation sur le mythe de l’enfant sauvage s’avère efficace, même si elle vire en partie vers une prévisible fable écologique et se heurte, comme beaucoup d’œuvres, aux limites habituelles de l’anthropomorphisme – il est par exemple incongru d’entendre le chasseur dire à Mowgli qu’il ne comprend pas sa langue alors que le héros dialogue avec les animaux avec le même idiome ! On pourra aussi regretter l’insuffisante modernisation du propos : la « loi de la nature » se voit ainsi polluée par des valeurs humaines appliquées bêtement au monde animal, y compris les rétrogrades concepts de sens de l’honneur et de virilité. Mais là aussi, c’est monnaie courante dans les œuvres anthropomorphiques.
Raphaël JullienEnvoyer un message au rédacteur