Festival Que du feu 2024 encart

PUBLIC ENEMIES

Un film de Michael Mann

Splendeurs et misères d’un gangster

Braqueur de banques hors pair qui sévit à de nombreuses reprises dans l’Amérique des années 30, John Dillinger, considéré comme l’ennemi public par le patron du FBI, est traqué sans relâche par Melvin Purvis, l’un des agents fédéraux les plus efficaces à la solde de J. Edgar Hoover...

Sans tomber dans des comparaisons dénuées de sens, il faut tout de même remarquer que Michael Mann revient régulièrement titiller la croupe du gangster, comme l’on retourne chaque été à la campagne pour revoir ses grands-parents adorés. Le gangster, Mann le connaît par cœur ; il en a figuré plusieurs et dans tous les genres, du cambrioleur discret (James Caan dans « Le solitaire ») au braqueur de banques classieux (Robert De Niro dans « Heat ») en passant par le froid et fascinant tueur à gages (Tom Cruise dans « Collateral »). Dans « Public Enemies », il se laisse tenter par les racines historiques du gangster à l’américaine : début des années 30, fin de la Prohibition votée par Roosevelt à peine arrivé au pouvoir, avènement de moyens policiers plus efficaces, et surtout, en tête de liste, la cavale du malfrat notoire et « rural » John Dillinger, merveilleusement interprété par un Johnny Depp qui porte encore mieux le chapeau à bords ronds que le bandana de pirate et la mitraillette que le mousquet.

« Public Enemies », dès son carton d’ouverture, s’inscrit dans un contexte d’une grande précision. En 1933 les criminels, désorganisés par l’abolition du Volstead Act et la reprise légale de la vente d’alcool, se cherchent de nouveaux gagne-pain. L’époque est au changement de mœurs : les grands criminels qui fascinaient la presse sont arrêtés, stoppent une partie de leurs activités illégales ou se convertissent au jeu et au trafic de drogue. Au cinéma, les studios Warner, qui ont atteint en 1931 et 1932 des sommets de gloire avec ce que l’on appelle désormais la « trilogie du gangstérisme » (« Little Caesar », « L’ennemi public », « Scarface »), décident de mettre en scène les forces de l’ordre plutôt que les gangsters afin d’accompagner les évolutions morales de la décennie.

C’est l’époque où Dillinger, connu pour ses spectaculaires braquages de banques dans l’Indiana et l’Illinois, officie dans une quasi-impunité : la première séquence du film montre son évasion d’un pénitencier dans lequel il n’a pourtant pas encore mis les pieds ! Un vent de liberté souffle sur ce qui s’avère être le crépuscule du gangstérisme « à l’ancienne », celui des gangs et de leurs chefs, des braquages organisés, de l’honneur, du charisme et de la flambe, dont Dillinger est, devant la caméra de Mann, l’ultime représentant.

Si, au bout d’une quinzaine de minutes de film, on imagine que Mann va nous refaire le coup du parallélisme entre le criminel et le policier, en brouillant au passage la frontière qui les sépare, « Public Enemies » prouve rapidement qu’il n’emprunte pas tous les sentiers battus. L’opposition de rigueur entre Dillinger / Depp et Melvin Purvis / Christian Bale fait long feu. Monolithique à son habitude, Bale reste un poil en retrait, parce que son personnage semble n’avoir pas plus d’existence qu’un spectre dont la seule raison de vivre réside dans la poursuite des bad guys. Au-delà de son rôle dans le F.B.I. naissant du jeune J. Edgar Hoover, qui propose d’arrêter les criminels en usant de techniques scientifiques inédites, Purvis n’a pas de vie, c’est-à-dire littéralement pas de scènes de vie privée.

Plus intéressante pour Mann est la relation sensible et chaotique entre Dillinger et Billie Frechette / Marion Cotillard. On pense bien sûr à « Heat ». Mais Dillinger n’est pas qu’un amoureux transi : il est aussi le chouchou de la population et des journalistes, les premiers le saluant pendant son trajet jusqu’au commissariat, les seconds riant à cœur joie de ses plaisanteries. S’il y a confrontation entre lui et Purvis, elle se fait moins sur le terrain du crime (bien que Mann nous offre une rencontre forte de tension dans le commissariat) que sur l’estrade de l’orateur, le bandit se montrant plus à l’aise pour bonimenter que le policier très strict et trop sévère lorsqu’il s’adresse à la presse à la demande de Hoover.

En marge des débuts d’une nouvelle époque, celle de l’investigation scientifique incarnée par les G-Men du F.B.I., Mann filme également la fin d’une ère, celle du banditisme spectaculaire. Le gangster « rural » qu’est Dillinger, en opposition aux chefs de la pègre urbaine, se rêve en modèle hollywoodien adulé par la foule, vivant une extraordinaire histoire d’amour. Et il aura une fin ironiquement liée aux films de gangters. Ce n’est donc pas seulement la fin historique du grand criminel, mais sa fin cinématographique que capte Michael Mann ; un fantasme qui se clôt dans la jungle urbaine de Chicago, en guise d’ultime référence au genre.

Eric NuevoEnvoyer un message au rédacteur

À LIRE ÉGALEMENT

Laisser un commentaire