LE PRESTIGE
Tortueux mais ensorcelant
À Londres, l’illusionniste Robert Angier meurt noyé dans des circonstances troublantes, lors d’une de ses représentations. Sur place dans les coulisses au moment du drame, son rival et ancien ami Alfred Borden est accusé de l’avoir assassiné…
Après "Batman Begins", Christopher Nolan retrouve Christian Bale et Michael Caine dans un autre univers : l’Angleterre victorienne. Exploitant à nouveau son récit de façon non linéaire, le réalisateur enchevêtre les parcours de deux illusionnistes, d’abord amis puis farouches rivaux, qui paraissent prêts à tout pour devenir le meilleur afin de nuire à l’autre (ou vice-versa). Sur fond de vengeance et de guerre d’égo, le récit tortueux ne capte pas immédiatement le public, car les allers-retours temporels et le recours aux carnets de chacun des héros complexifient inutilement l’exposition. Il convient donc de se concentrer et de s’armer d’un peu de patience pour cerner les personnages, magnifiquement incarnés par le duo Bale-Jackman et impeccablement secondés par un casting de haute volée : Caine, Johansson, Hall, Serkis et Bowie – pas mal, non ?
Une fois que le rythme semble se stabiliser et que les enjeux dramatiques apparaissent plus clairement, on se sent comme celles et ceux (humains ou animaux) que l’on voit ponctuellement coincés dans des cages et autres cuves d’eau : on cherche des explications, des solutions, des portes de sortie. Alors "Le Prestige" devient aussi fascinant qu’un labyrinthe, avec ce mélange de frustration et d’enthousiasme que l’on peut ressentir dans un tel lieu où jeu et angoisse s’entremêlent. On a beau se dire que les réactions et décisions des deux héros sont parfois disproportionnées, la dramaturgie fonctionne et nous happe, nous rattrapant à chaque tentative d’évasion. Nolan se la joue lui aussi prestidigitateur : il nous manipule, le public tente de résister tout en appréciant le fait d’être manipulé, cherchant là où il serait berné, là où le ficelles semblent trop grosses…
Il faut malgré tout admettre que le récit va sans doute trop loin sur certains aspects, notamment en déviant du côté de la « vraie magie » (donc du cinéma fantastique) alors qu’il était appréciable de suivre une histoire plus ou moins réaliste, mettant en danger la nécessaire suspension consentie de l’incrédulité : ce pacte risque donc bien de se briser en cours de film pour une partie du public. De même, il est possible que l’une des révélations finales paraisse peu vraisemblable car cela suggère qu’un des deux personnages ignorait un fait majeur à propos de son ancien ami – n’en disons évidemment pas plus !
Pourtant, malgré ces bémols, "Le Prestige" fonctionne comme un spectacle de magie : on sait que c’est faux, on a conscience d’une partie des trucs, mais on se laisse emporter quand même. N’est-ce pas cela qu’on appelle la magie du cinéma ?
Raphaël JullienEnvoyer un message au rédacteur