Festival Que du feu 2024 encart

DHEEPAN

Un film de Jacques Audiard

Une Palme d’or puissante et efficace

Combattant de l’indépendance tamoule, Dheepan sait que la défaite est inéluctable. Fuyant son pays et la guerre civile, l’homme se retrouve à jouer la famille parfaite avec une femme et une petite fille pour espérer pouvoir rester en France. Désirant créer un véritable foyer, le soldat va bientôt devoir renouer avec ses instincts guerriers lorsque la cité dans laquelle ils se sont établis s’embrase…

Cela commence avec un bûcher, un homme allume le feu pour brûler les cadavres de ses frères tombés au combat. Cet homme, c’est Dheepan, un Tigre, un soldat de l’indépendance au Sri-Lanka. Depuis bien longtemps, l’espoir chimérique d’une victoire s’est envolé et il n’y a plus rien pour lui dans ce pays ensanglanté par des années de conflits. Alors, il va fuir, accompagné d’une femme et d’une gamine de 10 ans avec qui il devra jouer la famille parfaite pour espérer obtenir plus facilement l’asile politique en France.

Des zones de guerre à la banlieue française, il n’y ainsi qu’un pas que Jacques Audiard fait franchir à ses protagonistes. Mais pas question d’effectuer une comparaison hasardeuse entre les deux situations, le cinéaste préfère recentrer les enjeux de son métrage autour de celui qui donne son titre au film, à ses tourments intérieurs, à ses doutes et ses blessures incurables. Car durant les minutes suivant la séquence d’introduction, le réalisateur capture le désir d’un homme de fonder un véritable foyer, de se fondre dans les murs délabrés de sa cité, de devenir un Monsieur Tout-le-monde. Pour y parvenir, Audiard se déleste de tout effet de style ou de lumière, adoptant une sobriété totale pour sublimer cette chronique ordinaire.

Les minutes défilent, Dheepan se pense de plus en plus père et mari, malgré les réticences de sa prétendue épouse qui n’arrive pas à surmonter les faux-semblants et à endosser son rôle de mère. Et lorsque les souvenirs de la guerre vont venir heurter son quotidien idyllique, à travers les affrontements de gangs rivaux, il se sait prêt à se battre pour sa nouvelle famille. Des coups de feux, une ligne blanche tracée au sol et c’est un nouveau film qui démarre. Enfin plus exactement, le prolongement violent des minutes précédentes. Les instincts meurtriers du héros ressurgissent, l’intime de son être vient percuter le cadre et exposer ses souffrances dormantes.

Dans ce chaos final, la mise en scène du réalisateur français, onirique et virevoltante, impressionne. Refusant le spectaculaire et les excès d’hémoglobine, le cinéaste opte pour des ennemis invisibles, une abstraction qui lui permet de ne jamais s’éloigner du seul conflit qu’il a raconté depuis le début : celui qui se joue à l’intérieur de Dheepan. Mélodrame, thriller, romance, critique sociale, le métrage est un peu tout cela à la fois. Il est surtout une fresque aussi puissante que douce, aussi sobre que poétique, aussi belle que dérangeante. Même l’épilogue inutile ne parviendra pas à nous faire bouder notre plaisir. La Palme d’or était inattendue, mais elle ne demeure pas moins amplement méritée, récompensant l’œuvre d’un cinéaste qui utilise à merveille toutes les possibilités offertes par une caméra.

Christophe BrangéEnvoyer un message au rédacteur

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