Festival Que du feu 2024 encart

UNE AUTRE VIE

Un film de Emmanuel Mouret

Mouret fait (modestement) du Almodóvar

Aurore, célèbre pianiste, se retire dans le Sud de la France suite au décès de son père. Elle rencontre Jean, un électricien venu poser des alarmes dans sa maison. Le coup de foudre est immédiat, ce qui n’est pas du goût de Dolorès, la compagne de Jean, bien déterminée à le garder près d’elle coûte que coûte…

Le cinéma d’Emmanuel Mouret n’est pas des plus agréables à appréhender. Censé s’inscrire dans la lignée des films de Sacha Guitry ou de Woody Allen, ne serait-ce que pour la tonalité douce-amère de ses films et la présence récurrente d’un jeune homme candide en guise de héros (toujours interprété par Mouret lui-même), son cinéma semblait avoir acquis depuis longtemps une étiquette rohmérienne que l’on s’empressera volontiers de rejeter en bloc. Là où Rohmer touchait à la vérité des êtres en utilisant le marivaudage et les malentendus comme révélateurs moraux des paradoxes qui composent les individus (le tout avec un soin précis apporté au dialogue et au cadre), Mouret se contentait jusque-là de fictions futiles, simplistes, sans véritable fond, parfois charmantes dès lors qu’elles invitaient une certaine touche de fantaisie (surtout dans le sympathique "Laissons Lucie faire"). Ce nouveau film marque une rupture : pour la première fois, non seulement Mouret ne fait plus l’acteur, mais installe enfin plus de gravité dans son style.

De façon tout à fait inattendue, le spectre de Pedro Almodóvar se met d’emblée à roder dès le premier quart d’heure, dans lequel Mouret active un drôle de puzzle temporel où les scènes se suivent au gré d’allers-retours incessants vers le passé, un peu à la manière des découpages complexes d’"Étreintes brisées" ou de "Parle avec elle". Une idée a priori gadget, mais qui reflète en fin de compte la modestie de Mouret à s’approprier un parti pris narratif sans chercher à se hisser au rang de ses maîtres : en effet, la simplicité assez apparente du scénario cache ici de moins en moins un fond d’une vraie complexité émotionnelle, auquel le final réussit même à injecter une sorte de vérité cruelle sur les dilemmes amoureux. En plus de cela, le réalisateur conserve aussi d’Almodóvar un goût évident pour le mélodrame stylisé, qui n’hésite pas à recourir aux envolées lyriques (ici rendues hélas un peu trop appuyées par la bande-son) et à la beauté idyllique du cadre (merci la Côte d’Azur) pour intensifier l’émotion des enjeux.

Plutôt de bonne augure, tout cela. La réussite n’est pourtant qu’à moitié au rendez-vous. Si l’intention de départ et la structure narrative reflètent en tous points un désir de maturité chez Emmanuel Mouret, certains problèmes récurrents de son cinéma répondent tout de même à l’appel. Avec, en premier lieu, des dialogues toujours aussi littéraires, dont la principale faille réside comme d’habitude dans le surlignage des intentions au Stabilo verbal (chaque dialogue est ici très illustratif) au détriment d’un vrai découpage de cinéma qui réussirait à tout illustrer à travers l’image. Faut-il y voir l’explication du jeu très mécanique de la majorité des acteurs ? On répondra par l’affirmative : JoeyStarr et Jasmine Trinca manquent tous deux de chair et d’incarnation à force de réciter un texte qui, à bien des reprises, ne semble pas taillé sur mesure pour eux (remarque subjective : on ne croit pas vraiment à leur coup de foudre réciproque et immédiat). Il faut finalement se rabattre sur le personnage joué par Virginie Ledoyen, pivot central du récit en dépit d’une prestation d’actrice assez anecdotique. Bilan mitigé, donc, mais au vu de la modeste reconversion dont a su faire preuve Mouret, on lui accordera le bénéfice du doute et on attendra de voir ce que nous réserve la suite de sa carrière.

Guillaume GasEnvoyer un message au rédacteur

BANDE ANNONCE




Powered by Preview Networks

Laisser un commentaire