MOTHER !
Toujours plus !
Un homme repose une pierre précieuse sur son socle et aussitôt une maison délabrée reprend vie. A l’intérieur, une jeune femme et son mari, un artiste en mal d’inspiration. Elle, de son côté, prend soin de cette maison qui les protège et les isole du monde extérieur. Un jour, un homme se présente et cherche un toit pour la nuit. Sans hésiter, l’artiste lui ouvre les portes de leur cocon, même si sa femme est réticente…
Après le formidable « Black Swan » et l’écrasant « Noé », Aronofsky continue ses tentatives de cinéma sensoriel et symbolique avec ce dernier film, « Mother! ». Vendu comme un film d’épouvante/thriller par la Paramount, il ne faut pas que le spectateur se méprenne. « Mother! » est avant tout et surtout un film d’auteur enrobé avec les codes du cinéma de genre à l’image de « Black Swan », film avec lequel « Mother! » a de fortes similitudes en matière de point de vue et mise en scène. Aronofsky joue cette fois la carte de l’allégorie de manière extrêmement évidente. A un tel point par ailleurs que la symbolique excessive finit malheureusement par nous tirer de l’histoire pourtant captivante dès les premières minutes.
En effet, cet excès est d’autant plus dommageable que le film demeure une œuvre très aboutie par ailleurs. Darren Arronofsky n’hésite pas à avoir plusieurs partis pris très intéressants. Le choix de raconter cette histoire du point de vue de cette jeune femme totalement éprise de son mari donne naissance à une manière de mettre en scène plus viscérale que jamais. Il y suppure une sensation organique de par la façon dont il connecte cette femme à cette maison immense qu’elle met tant de cœur à rénover. Le travail sur le son est impressionnant et nous plonge instantanément dans les ressentiments du personnage de Jennifer Lawrence. Peu à peu, de manière insidieuse, les oppressions de la jeune femme deviennent les nôtres. Assister à l’occupation de cette demeure provoque autant d’énervement et d’agacement pour celui devant l’écran que celle derrière. Techniquement, hormis quelques effets digitaux, c’est un sans-faute. L’ensemble est grandiose, bouillonnant et donne lieu à des séquences complètement époustouflantes.
Mais ce n’est pas seulement soigné d’un point de vue formel. Le fond est également foisonnant. De nombreux sujets sont évoqués à travers les métaphores qu’Aronofsky déploie au fur et à mesure de l’intrigue. On peut y voir une réflexion sur la difficulté d’aimer un artiste à succès plus passionné par ce qu’il crée (avec toutes les formes de narcissisme qui en découle) que par son couple. Le thème de la dépossession est d’ailleurs prépondérant passant d’abord par la maison pour glisser vers l’être aimé via des hordes fanatiques. Assister à ce sentiment d’impuissance à travers les yeux du personnage interprété par la compagne du réalisateur (qui prend un malin plaisir à appuyer le trait jusqu'à l’overdose) est une sensation qui déplaira à plus d’un et surtout à plus d'une !
Tant de strates de lectures et d’interprétations de cette gigantesque et dantesque métaphore sont possibles vu que le réalisateur du désormais emblématique « Requiem for a Dream » accouche d’une œuvre multiple et riche. On peut par exemple interpréter la maison comme la représentation de la solidité du couple ou même de l’esprit du poète interprété par Javier Bardem. Sa femme ne serait alors que la représentation d’une inspiration (elle est d’ailleurs appelée ainsi à quelques reprises) que l’artiste ne parvient pas à saisir (« Tu es incapable de me toucher » dit-elle). Et dès qu’il lui fait enfin l’amour, la gestation est à l’œuvre. Mais la créativité a horreur des espaces confinés. Il doit s’ouvrir aux autres, au monde et à sa misère. Une fois la porte ouverte, plus rien ne filtre. L’artiste se fait envahir par l’insatiabilité du public demandant toujours plus sans aucune vergogne. Et une fois l’idée épuisée, il faut tourner la page. Passer à autre chose. Repartir à zéro.
Alexandre RomanazziEnvoyer un message au rédacteur