L'OUTSIDER
Le cours de l’efficacité va grimper assez vite…
Pas sûr que l’affaire Kerviel méritait aussi rapidement son propre film, que l’on imaginait d’ailleurs formaté à la sauce « biopic orienté » (ce que "L’Outsider" est en partie). Pas sûr non plus que Christophe Barratier, jusque-là spécialisé dans le chromo « vieille France » ("Les Choristes", "Faubourg 36"), était le meilleur choix pour investir un terrain déjà labouré par Adam McKay, J.C Chandor et surtout Martin Scorsese (excusez du peu !). Au final, la principale habileté de Barratier aura consisté à ne pas se prendre pour le cinéaste-loup qu’il n’est clairement pas et à la jouer plutôt profil bas en détournant sa hargne sur un autre cadre, en l’occurrence la mise en scène du dialogue. Après coup, on peut juger que la stratégie de Barratier à jouer ses plus beaux jetons dès la scène d’ouverture était la bonne : en trois plans et deux brillantes idées de mise en scène, ce montage terrible et remarquablement agencé sur la déchéance d’un trader s’étant visiblement pris pour Icare suscite un impact immédiat. Du coup, tout le reste du récit, bâti sur un schéma narratif tantôt éclaté tantôt conventionnel, retombe illico sur un niveau bien plus bas. Afin de remonter la pente, Barratier se cale sur la stratégie de Kerviel lui-même : tirer profit d’une situation basique pour choper la bonne tactique.
Contre toute attente, "L’Outsider" se construit dès sa première demi-heure comme une mitraillette à dialogues acérés, embarquant le spectateur dans une mécanique de prise de risque de plus en plus croissante. La team de Kerviel, menée de très loin par un François-Xavier Demaison royal, se lâche dans le squash verbal, se renvoyant la balle tous les deux raccords de plan par une avalanche de blagues grivoises et de sarcasmes punchy, mettant ainsi en perspective l’aspect carnassier de l’activité de trader (définition : un drogué du gain qui perd pied avec la réalité). Au sein de cette galaxie speedée et surcaféinée, Barratier vulgarise le jargon financier à grands renforts de symboles clairs comme de l’eau de roche sans jamais adopter pour autant un ton professoral ou didactique. Tout semble sans cesse de plus en plus limpide et évolutif, comme si le film devenait lui-même une courbe en hausse sur l’écran d’ordinateur de Jérôme Kerviel (excellent Arthur Dupont). Si l’on se désintéressera très vite de cette sous-intrigue amoureuse avec Sabrina Ouazani, le film impose sans peine sa réussite par un positionnement optimal sur le marché de l’efficacité cinématographique : ça spécule si fort sur la hausse du dialogue-choc que le cours de la mise en scène grimpe assez vite. Et au final, le gain est là. Bien réel et pas du tout abstrait, celui-là.
Guillaume GasEnvoyer un message au rédacteur