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VUE SUR MER

Un film de Angelina Jolie

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Roland est un écrivain en panne d’inspiration. Vanessa est une ancienne star new-yorkaise. Ensemble, ils forment un couple en crise, gagné par la lassitude et visiblement hanté par un douloureux souvenir qu’ils n’évoquent jamais. Ils décident alors de s’offrir un petit séjour dans une petite crique de la Côte d’Azur française afin d’apaiser leur relation de couple. Mais la présence d’un autre couple – plus jeune celui-là – dans la chambre voisine de la leur va tout faire basculer…

Les années passent et on ne sait toujours pas ce qui se passe chez Angelina Jolie pour que l’envie de mettre en scène des histoires à la limite du drame sado-maso soit à ce point inséparable de son activité de cinéaste. Un nouveau stade est atteint avec "Vue sur mer" : après deux films déjà bien expressifs sur le sujet (dont le vaincu "Invincible"), la voilà qui se met elle-même en scène aux côtés de son époux Brad Pitt, tous deux dans la peau d’un couple en crise qui s’affronte dans un petit coin de paradis du Sud de la France. Déjà que les deux acteurs s’étaient livrés à un savoureux jeu de frappes et de pugilat dans le très funky "Mr & Mrs Smith", ce nouveau film installe une situation identique, à base de non-dits bouillants et de narration cocotte-minute, qui retarde peu à peu le moment où Brad et Angelina vont se mettre sur la tronche. En gros, après s’être violentés mutuellement dans le film de leur rencontre, les voilà qui remettent le couvert sur le film de leur lassitude – on n’ose même pas imaginer ce que ce serait pour le film de leur divorce.

Cela dit, vu qu’il est parfois question de cartes à jouer dans le film, mettons tout de suite les nôtres sur table : ce film-là, on aurait pu l’aimer – voire même l’adorer – si le couple le plus glamour d’Hollywood avait laissé la place à d’autres acteurs pour incarner le couple principal. Parce qu’en matière de mise en scène et de construction narrative, Jolie laissait ici de côté tout ce qui rendait ses deux premiers films lourds et démonstratifs. En effet, par un jeu savant sur les surfaces réfléchissantes, par un étirement progressif de la durée et par une mise en scène symbolique qui ne fait rentrer dans le cadre que ce qui sert son propos sur l’épuisement du couple, la réalisatrice arrive à installer un lien direct entre l’épure de l’image et les non-dits du propos. De cette manière, la force du film réside non pas dans ce que l’on voit à l’écran, mais dans ce que le plan d’avant ou celui d’après réussissent à faire ressentir. D’autant que le temps des regards et des postures – parfois très long – fait se rejoindre le non-dit avec cet évasif sentiment de culpabilité qui ronge ce couple sans que l’on sache réellement pourquoi.

Le souci, c’est qu’avec les « Brangelina » en tête d’affiche, toute cette lecture analytique s’effondre d’elle-même. Leur simple présence aura vite fait de griller l’explication finale sur leur crise conjugale (quand on connaît un peu la vie privée du couple, les voir ici sans enfants à leurs côtés est déjà un indice grossier en soi) et, ainsi, de transformer "Vue sur mer" en thérapie filmique, avec un autre couple français en guise de miroir psychanalytique (Mélanie Laurent et Melvil Poupaud, modelés physiquement sur eux-mêmes en plus jeunes !). Du coup, voir des acteurs exploiter le 7e Art pour régler leurs problèmes personnels – qui ne regardent qu’eux – nous place dans un rôle de psy d’autant plus gênant qu’ils ne nous donnent même pas soixante euros à la fin de la séance. Tout, ici, se limite à leur petit nombril. Et le trouble vénéneux que l’on aurait tant aimé ressentir se transforme en une gêne assez terrible.

Film « de » et « avec », "Vue sur mer" devient donc un film « pour », dont les seuls spectateurs valables sont hélas les deux têtes d’affiche. Les autres ne sont d’ailleurs là que pour servir d’objets décoratifs : outre le couple Poupaud/Laurent qui n’existe qu’au travers d’une série de déshabillés répétitifs, les vieux briscards Niels Arestrup et Richard Bohringer ont ici la même fonction que deux buissons sur une carte postale de calanque marseillaise. Seuls quelques éléments appuyés – dont la présence récurrente d’un pêcheur – ne serviront ici qu’à justifier une révélation finale illustrative, déjà anticipée avec une heure d’avance. Constat final : raconter ses problèmes de couple n’a d’intérêt qu’au travers d’une universalité travaillée et d’une interrogation précise (en gros, que prendre chez moi qui puisse être intéressant pour autrui ?). Visiblement, tout comme l’ex-première dame de France avec son torchon littéraire, Brad et Angelina n’en avaient pas grand-chose à faire.

Guillaume GasEnvoyer un message au rédacteur

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