KRISHA
Moi, Krisha, 9 doigts et demi, alcoolique
Krisha fait partie de ces sexagénaires qui ont su rester jeunes, baroudant à gauche et à droite, sans véritable point de chute, la soif de liberté jamais comblée. Mais après des années d’absence et d’oubli, cette dernière décide de revenir au sein de la demeure familiale où résident sa sœur, son beau-frère, leurs enfants, ainsi que son propre enfant. Tous ont grandi et évolué sans se soucier de cette femme lunaire, et son retour ne sera pas sans fracas. Celle qui donne son nom au titre du film est le cœur du métrage, l’âme délurée et décalée qui offre à ce drame une atmosphère si particulière, où de nombreuses références se mêlent dans un fourre-tout visuel étonnamment maîtrisé.
Malgré la puissance romanesque de sa protagoniste, Trey Edward Shults ne s’est pas effacé derrière sa caméra. Bien au contraire, le réalisateur a décidé de la mouvoir dans un cadre très pensé, la mise en scène évoluant aux aléas des humeurs de son héroïne. Les plans-séquences et la caméra virevoltante du début laisseront la place à des mouvements plus calmes, tandis que le cadre ne cessera de se rétrécir au fur et à mesure que l’étau se resserre sur la pauvre Krisha. Car en plus de ses propres problèmes, elle va devoir affronter la gêne puis le rejet grandissant d’une famille qui ne l’a jamais comprise et dont les maux ne sont pas guérissables.
Ultra-référencé, entre film d’horreur et comédie dramatique, le métrage parvient à décontenancer le spectateur par ses ruptures de tonalités et à sa propension à s’empreindre d’un genre pour mieux en pervertir les codes. Même si l'on n’évitera pas la fameuse scène obligatoire du dîner où la situation dégénère définitivement, et si le cinéaste cherche trop à s’inscrire dans la tendance actuelle du cinéma d’auteur américain, notamment dans une deuxième partie moins maîtrisée, "Krisha" est un premier long métrage très intéressant et un excellent prolongement du court-métrage originel.
Christophe BrangéEnvoyer un message au rédacteur