LA PROCHAINE FOIS JE VISERAI LE COEUR
110 minutes dans la peau d’un tueur (et de Guillaume Canet)
Décidément, l’année 2014 est celle des retranscriptions de grandes affaires judiciaires pour Guillaume Canet. Après avoir prêté ses traits à Maurice Agnelet pour « L’homme qu’on aimait trop », écrit en partie par Cédric Anger, le revoilà dans un film sur l’affaire Alain Lamare mis en scène par le second. À la fin des années 70, ce gendarme bien sous tous rapports va s’avérer être un psychopathe incapable de résister à ses pulsions meurtrières. Le jour, il est un officier modèle, passionné et méticuleux, dont le travail lui vaut les louanges de ses supérieurs ; la nuit, il rôde sur des routes désertes afin de trouver ses victimes, souvent des jeunes filles qui excitent ses frustrations sexuelles. Si ces crimes avaient défrayé la chronique et apeuré la population de l’Oise, le dénouement de l’affaire avait été bien plus gardé sous silence, en raison, bien évidemment, de l’identité du coupable.
Pour le cinéma, Alain Lamare est devenu Franck, et l’histoire concentrée sur un seul hiver, où la blancheur immaculée de la neige vient contraster avec le rouge vif d’un sang qui ne cessera de couler. Au milieu de ces paysages qui se vident de leur âme et de leur substance, parabole d’un protagoniste principal qui sombre dans la démence, la caméra de Cédric Anger nous plonge dans le quotidien de ce tueur. Pas question d’essayer d’analyser psychologiquement ses motivations, le métrage se contente de nous montrer les faits abruptement, et le serial killer de rester un mystère pour les spectateurs. Nous sommes ses yeux, nous sommes ses mains, jamais l’objectif ne s’éloigne de cet homme sur lequel il n’est porté aucun jugement.
Et si être dans la peau de Guillaume Canet durant presque deux heures était certainement le fantasme de nombreuses femmes, il est fort à parier que l’expérience ne sera pas celle qu’elles imaginaient. Car cette reconstitution minutieuse est terrifiante, aussi bien visuellement qu’intellectuellement, le réalisateur s’amusant à nous pousser dans nos retranchements, les spectateurs passant alors de l’empathie à une haine profonde, de la certitude d’avoir déchiffré la personnalité d’un homme dépressif qui tue pour se punir à l’incertitude totale. À chaque excès de violence, la souffrance de Franck est terrible : mais alors pourquoi ne peut-il pas s’en empêcher ? La question demeurera en suspens, car le but n’est pas ici d’essayer d’apporter des explications ou de montrer la traque d’un tueur en série, mais d’inviter le spectateur à se perdre dans les névroses d’un homme insaisissable.
Ce choix scénaristique n’aurait pu aboutir sans la prestation impressionnante de Guillaume Canet, d’une froideur terriblement déconcertante. Toutefois, il manque un brin de subtilité pour que l’expérience soit radicale, la mise en scène un peu trop appuyée, voire kitsch, finissant par détourner notre attention sur ses défauts plus que sur les agissements du personnage. Le rythme nonchalant et les quelques redondances viennent alors alourdir le récit, d’autant plus lorsque l’imaginaire de l’auteur-réalisateur cherche à accentuer trop lourdement les traits de caractère de son antihéros. On préférera donc au final n’en retenir la performance de Guillaume Canet.
Christophe BrangéEnvoyer un message au rédacteur