EL CLUB
Sombre et cynique, une oeuvre majeure et viscérale
Les premières minutes de "El Club" laissent augurer d'un simple film sur les courses de lévriers. Un homme entraîne son chien sur une plage, en faisant tournoyer dans les airs une peau de lapin, accrochée à une canne. Puis d'autres le rejoignent pour chronométrer la bête dans son élan. Enfin, le groupe prend part à une course, finalement remportée par leur protégé. Derrière l'insouciance et les rires se terre la monstruosité, derrière la beauté de contre-jours se dessinent les ténèbres. Car les membres de ce petit groupe ne sont en fait pas des gens "comme les autres" : ils sont tous des serviteurs de Dieu et vivent en communauté dans ce qui s'appelle un refuge, que l'arrivée d'un nouveau membre va venir irrémédiablement perturber.
Savoir pour quelle raison chacun d'eux est là constitue l'un des principaux ressorts de ce nouveau film de Pablo Larraín. Avec un scénario à la fois terrifiant et méticuleux, le cinéaste révèle l'horreur au compte-gouttes, avant de nous plonger dans les tréfonds de ces âmes irrécupérables. Visant aussi bien l'Église que l'être humain, Pablo Larraín ‒ auteur de la trilogie sur les dictatures ("Tony Manero", "Post Mortem", "No") ‒ ne cède jamais à la facilité, construisant une œuvre à l'austérité nécessaire. Jouant des contre-jours à merveille pour mieux incarner la noirceur de ses personnages, il nous mène par à-coups vers un climax simplement époustouflant.
Traitant de l'impossibilité du pardon, des arrangements avec la culpabilité, des compromissions de l’Église, de l'oubli organisé du passé, le film revêt une résonance politique indéniable quant aux séquelles de la dictature chilienne. Lisible à bien des niveaux, "El Club" apparaît à la fois comme engagé et anti-clérical, et dispose d'une mise en scène remarquable qui a valu au film le Grand Prix au Festival de Berlin 2015. Un film nécessaire, qui vous bouscule et vous prend aux tripes.
Olivier BachelardEnvoyer un message au rédacteur