POLLUTING PARADISE
Un manque évident de recul
Fatih Akin, réalisateur d'origine turque, récompensé dans les plus grands festivals du monde, que ce soit pour « Head On » (ours d'or à Berlin), « De l'autre côté » (prix du scénario à Cannes en 2007), ou « Soul kitchen » (grand prix à Venise), retourne ici dans la région de Trabzon, où se situait une partie du tournage de « De l'autre côté » et où il a lui même de la famille. Il y suit la construction et les premières années d'exploitation d'une décharge à ciel ouvert, située sur une ancienne mine de cuivre. Entre dysfonctionnements évidents, conséquences écologiques (prolifération des moustiques) et sanitaires (pollution de la rivière), il décrit la lutte du maire et des habitants d'un village, face à des autorités sourdes à toute revendication.
Malheureusement, le cinéaste ne reviendra que quelques fois sur les lieux, entre 2007 et 2012, ne donnant qu'un aperçu morcelé de l'évolution des installations (trou dans la membrane géotextile, débordement régulier des eaux noires, écroulement d'un mur...). De plus, il semble ne donner qu'une vue très partielle et partiale du projet, faisant le jeu de ceux qui contestent un peu partout la construction de structures indispensables à un monde en pleine évolution, surtout quand cela touche leur territoire alors qu'ils ne seraient pas contre le fait qu'elles se réalisent chez les autres (voir le phénomène des associations Nimby : not in my backyard). Il s’intéressera ainsi beaucoup plus aux opposants au projet qu'il n'offrira d'espace de contradiction ou de droit de réponse à ses coordonnateurs ou techniciens.
Si l'on traduisait littéralement le titre de ce documentaire allemand, cela donnerait « La Décharge dans le jardin d'Eden ». Si le réalisateur donne à voir de jolies vues sur les environs ou les quelques paysages faits de champs de thé en terrasse, on a cependant bien du mal à voir en quoi ce coin de Turquie constitue un paradis, menacé par la présence de la décharge. À moins de considérer que toute modernité soit synonyme de dégradation. Car ici l'intention de base ne peut sembler que bonne (apporter une solution technique à un problème sanitaire évident), dans une région où les modes de vies semblent d'un autre temps, où les personnes âgées ont du mal à se mouvoir, accablées par un labeur pénible qui les a vraisemblablement usées.
Au final, même s'il dépeint les dysfonctionnements évidents de la justice turque et met en évidence de jolis contrastes au sein d'une société en pleine évolution, le documentaire de Fatih Akin apparaît tout de même comme un rien trop partisan. Il semble préférer faire passer tous les fonctionnaires et spécialistes du pays comme des incapables, plutôt que de mettre en évidence le manque de concertation avec la population. Reste la facilité avec laquelle il met en défaut les discours politiques conciliants. Mais ceci ne remplacera pas un véritable travail de documentation, que personne ici ne semble avoir vraiment pris le temps d'effectuer.
Olivier BachelardEnvoyer un message au rédacteur