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GUIBORD S'EN VA-T-EN GUERRE

Un film de Philippe Falardeau

Une fantaisie politique aussi drôle que pertinente

Steve Guibord est un ancien espoir du hockey devenu député indépendant dans une circonscription rurale au nord du Québec, sans réelle ambition politique. Par un improbable concours de circonstances, son opinion devient déterminante pour faire pencher la balance d’un vote national pour ou contre l’entrée en guerre du Canada au Moyen-Orient. Devenu malgré lui le centre de l’attention médiatique, tiraillé entre les avis de sa femme (pour) et de sa fille (contre), il est aidé dans sa tâche par Souverain, venu d’Haïti pour se proposer comme stagiaire. À la fois brillant et enthousiaste, il va devenir un allié indispensable…

Le ton est donné dès l’ouverture : « Ce film est basé sur des faits authentiques qui ne se sont pas encore produits mais qui ne sauraient tarder ». Suit alors le plan d’un doigt indiquant sur une carte du Canada la ville (fictive) de Rapides-aux-Outardes. On saute donc à pieds joints dans la farce politique, avec le même enthousiasme que Souverain, cet improbable stagiaire haïtien qui connaît souvent mieux la politique canadienne et la culture occidentale que le politicien auprès duquel il est censé apprendre plein de choses. En définitive, on se posera souvent la question de savoir qui est vraiment le stagiaire de qui !

Sous ses airs fantaisistes, ce film québécois réussit à faire une analyse d’une grande finesse de la politique, montrant à la fois la recherche malaisée du compromis, la difficulté à garder intacte son éthique personnelle, ou encore – et même surtout – la question de la communication politique et de la relation avec les médias et avec les élus. Beaucoup de films ont déjà passé à la moulinette l’art du spectacle politique, mais peu l’ont fait avec autant d’intelligence et d’humour – et surtout si peu de cynisme. Philippe Falardeau (réalisateur remarqué de "Congorama" et de "Monsieur Lazhar") fait baigner ses personnages dans un contexte crédible tout en saupoudrant le tout d’un humour décalé – citons par exemple la nécessité d’accéder au bureau de Guibord en passant par une boutique de lingerie. L’humour doit beaucoup au jeune Irdens Exantus, véritable révélation de ce film, capable d’embardées intello à la Édouard Baer comme de déplacements dignes des meilleurs acteurs burlesques, ou encore d’expressions faciales et corporelles en accord avec son personnage de candide éclairé, comme lorsqu’il voit pour la première fois un Canadien noir et lui fait signe à l’autre bout de la rue – ce qui vaut alors à Clémence Dufresne-Deslières une des répliques les plus absurdement drôles du film : « T’as jamais vu de Noir ? »

Les personnages le disent eux-mêmes : la politique, « c’est juste un show ». Falardeau pousse ainsi la logique jusqu’au bout, exploitant toutes les formes de communication politique, de l’interview télé aux consultations publiques en passant par les affiches électorales, les inaugurations officielles de lieu quelconque, Facebook, les chantages ou promesses dans les coulisses, sans oublier les rencontres avec des représentants de syndicats et de minorités. Il s’amuse aussi des symboles, comme celui de la colombe de la paix ou de la fumée banche papale.

L’humour permettant de ne pas verser dans une vision sombre et pessimiste de la démocratie, le réalisateur en montre malgré tout les imperfections et ne s’interdit pas un peu d’ironie, comme lorsqu’il cite Churchill (« Le meilleur argument contre la démocratie est un entretien de cinq minutes avec un électeur moyen ») ou qu’il discrédite à la fois l’éthique d’un mouvement pacifiste (qui paie un ancien combattant en Afghanistan pour témoigner en leur faveur) ou la valeur d’un vote individuel (« J’ai voté comme ça, comme on fait un vœu en regardant une étoile filante », avoue la femme de Guibord). L’écho que prend cet enjeu 100% canadien en Haïti, par le truchement des vidéoconférences que Souverain organise régulièrement avec ses proches pour leur faire partager son expérience et ses connaissances, permet une critique originale de nos sociétés occidentales en retournant la situation classique : ici, c’est le Sud qui observe le Nord, commente ce qui s’y passe, juge nos dysfonctionnements… Le choix du prénom de Souverain n’en est que plus ironique.

Cette vision haïtienne n’est d’ailleurs qu’un élément parmi d’autres de l’incroyable approche géographique du film – chose rarement maîtrisée à ce niveau-là au cinéma. L’utilisation des cartes n’est pas seulement potache (même si on peut y voir un clin d’œil aux films d’aventure) : elle permet aussi de proposer une analyse territoriale des enjeux (notamment avec la question des blocages de routes et de leurs conséquences) et de matérialiser la gestion complexe de problèmes qui s’imbriquent à plusieurs échelles. À de nombreuses reprises, situations et dialogues montrent à quel point les enjeux globaux (la guerre au Moyen-Orient…), nationaux (l’engagement de l’armée canadienne, la stabilité du gouvernement…), locaux (le conflit entre minorité algonquine et bûcherons, la question de l’ « aubaine » économique en termes d’activité et d’emplois générés par une entrée en guerre, la susceptibilité des habitants face à l’absence de leur député lors d’une inauguration…) voire familiaux et individuels (la pépinière de l’épouse de Guibord, les rêves et valeurs de sa fille, ou la possible ascension politique avec fauteuil ministériel à la clé…) sont intimement connectés.

Raphaël JullienEnvoyer un message au rédacteur

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