Festival Que du feu 2024 encart

À L'AVEUGLE

Un film de Xavier Palud

Carré mais sans génie

À Paris, des crimes atroces sont commis, sans aucun lien apparent. Le commissaire Lasalle, un écorché vif impulsif ne se remettant pas du soudain décès de sa femme, est chargé de l’enquête. Très vite il croise Narvik, accordeur de piano, aveugle. Lasalle se persuade rapidement de sa culpabilité, mais reste à savoir par quel miracle l’aveugle peut tuer ainsi, et surtout, pourquoi…

Ce film a des particularités de production qu’il peut être intéressant de souligner. Il s’agit en effet d’une production participative, émise par Europa Corp. Plus concrètement, Luc Besson, via sa société et un site internet spécialement mis en place « weareproducteurs.com » (pourquoi pas : noussommesdesproducteurs.com ?), a sollicité des internautes pour les inviter à être coproducteurs d’un projet, et à intervenir sur toutes les phases de sa production, dès le choix du pitch. Si certains projets de coproduction via internet et via des sommes minimes (10 euros) existaient déjà, il s’agit ici du premier film pour lequel l’internaute intervient à peu près à toutes les étapes. Et curieusement l’utilisation de ce procédé inédit n’a pas été mise en avant lors de la sortie du film… Luc Besson était fier de dire que le pitch choisi était de lui, il l’a stipulé en gros au générique, mais il a eu l’humilité, une fois n’est pas coutume, de ne pas écrire lui-même le scénario, mais de faire appel à Éric Besnard (« Babylon AD »). C’est suffisamment rare de la part de Besson pour être souligné.

Xavier Palud, déjà à l’œuvre sur le très bon « Ils », et le correct « The Eye » qu’il avait coréalisé, livre ici un polar stylisé et agréablement efficace. Le scénario est plutôt rondement mené, avec ses personnages cassés par la vie (Lasalle a perdu sa femme dans un accident de voiture, et ne parvient pas à s’en remettre, du coup il est un peu sanguin…), une intrigue alléchante (des meurtres horribles mais sans rapport), et une lecture politique qui approfondit le propos. Pourtant on a un peu le sentiment que les personnages ne sont pas assez exploités. On voit très peu le tueur agir, et malgré des dialogues mis en avant par des comédiens de la trempe de Lambert Wilson et Jacques Gamblin, il y a parfois un quelque chose qui coince. On est un peu énervé également de la sempiternelle présence d’une fille anorexique qui traverse le décor dans le plus simple appareil sans trop rien apporter au propos qu'on retrouve dans ce genre de productions. On évite au moins l’éternelle scène de sexe entre le héros cassé et la midinette qui a 15 ans de moins que lui, et qui lui saute dessus parce que... il le faut bien…

Jacques Gamblin et Lambert Wilson, plus habitués aux rôles dans des films dits « d’auteur », bien que l’on se souvienne de Wilson dans « Matrix Reloaded », sont assez convaincants. Wilson est ciselé par la lumière très contrastée du chef-opérateur, le genre permettant un peu de culot artistique, et le montage, poussant habituellement à la syncope dans ce type de production, se contente de rendre illisible la seule scène de coup de poings du film. Ce pourrait être un peu mieux, mais on a déjà vu bien pire. Mais revenons en arrière : oui, vous avez bien entendu « la seule scène d’action », quoi qu’il y en ai une autre petite à la fin. Non, les rues de Paris ne sont pas littéralement défoncées par une énième et improbable course poursuite entre le « bad guy » et un héros trop sûr de lui… Il faut donc se réjouir que certains des stéréotypes du genre aient été esquivés, mais manque tout de même un soupçon de psychologie, d’épaisseur, d’humanité, et de machiavélisme de la part du méchant.

Xavier Palud montre qu’il a un indéniable savoir faire, le concept est intéressant, et, pour passer au-delà des jeux de mots improbables, le film mérite d’être vu, mais l’on pouvait en attendre un peu mieux. On a juste un peu le sentiment que l’idée même du film demandait un peu plus d’audace, notamment dans la mise en scène.

Ivan ChaslotEnvoyer un message au rédacteur

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