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TONI ERDMANN

Un film de Maren Ade

Irrésistible et émouvant portrait d’un père à la reconquête de sa fille

Winfried est un joyeux drille qui ne manque jamais une occasion de plaisanter. Accompagné de son vieux chien Willy, il use de gentilles farces naïves pour amuser son entourage. Un dimanche, il est invité chez son ex-femme à l’occasion de la venue de leur fille unique Ines, une femme d’affaire ambitieuse en poste dans une grande multinationale à Bucarest…

Placardée sur la façade d’un petit immeuble cannois, l’affiche de "Toni Erdmann" intrigue. Des mèches blondes entremêlées à un océan de cheveux bruns, que cela pouvait-il bien être ? Des chevelures de femmes, une crinière de cheval…? Il faudra attendre la projection du film pour découvrir de quoi il en retourne exactement. Le moins que l’on puisse dire c’est que nous n’avons pas été déçus. Le film allemand que personne n’attendait a subjugué le grand théâtre Lumière pendant près de 3 heures de projection, galvanisant un large public, conquis et intarissable en applaudissements.

L'histoire ? Celle d'Ines et Winfried qui, bien que père et fille, sont progressivement devenus des étrangers au fil des années. Lui mène toujours une vie paisible entre ses élèves, son chien et sa mère âgée, alors que sa fille s’est exilée en Roumanie où elle est devenue une femme d’affaires, sans affect ni scrupules. Les rares visites qu’elle fait à sa famille sont rapides et ponctuées d’interminables appels téléphoniques qui l’accaparent. Winfried a beau tenter de s’intéresser à ce qu’elle devient, la jeune femme fuit toutes conversations. Attristé par cette perte de contact, le père décide de lui rendre une visite surprise à Bucarest pour s’assurer que sa fille est bien heureuse.

Or, le bonheur pour Ines est une variable qui rapporte peu. Les rares loisirs qui comblent les blancs de son agenda se concentrent sur l’essentiel. Ses soirées entre copines ressemblent à un débriefing commercial et, question sentiment, sa vie amoureuse se résume à un 5 à 7 bestial avec un collaborateur aux dents longues. Une mécanique parfaitement huilée qui va petit à petit se gripper face aux nombreuses tentatives du père, maladroites et touchantes, pour retrouver un peu de complicité avec sa fille qu’il aime tant.

Comme lui, le film réserve bien des surprises. Calé sur l’emploi du temps inflexible d’Ines, le récit s’amuse à distiller des contretemps aussi réfléchis qu’inattendus pour permettre au père de justifier sa présence. Son tempérament imprévisible fait le reste. Sa fantaisie récurrente n’est jamais agressive et son personnage, plus pudique qu’il n’y paraît, doit se confronter à un monde qui le révolte pour entretenir le peu de lien qui le raccroche à sa fille. Les scènes s’enchaînent alors entre rires et affection jusqu’aux premières fêlures, portant le film à son apogée dans une scène d’anniversaire mémorable.

Magnifiquement écrit, "Toni Erdmann" fait preuve d’une justesse de ton, simple et sans emphase qui séduit dès les premières minutes. Sans temps morts, ni faux pas, le film prend le temps qu’il faut pour développer son propos et sa durée de 2h42 est parfaitement justifiée. Une réussite incarnée magistralement par ses deux acteurs quasi inconnus de notre côté du Rhin, mais plus pour longtemps assurément, tant le film marque les esprits. Un chef-d’œuvre largement salué par la critique et le public lors de sa présentation au Festival de Cannes. Le jury a préféré l’ignorer pour rendre un palmarès controversé et politique. Qu’importe ! Maren Ade a reçu des festivaliers une Palme d’or plus rare : celle du cœur et c’est encore plus beau !

Gaëlle BouchéEnvoyer un message au rédacteur

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