J'AI VU TUER BEN BARKA
Un film beau simple et fort, comme le fut Medhi Ben Barka
L’homme qui en savait trop, en avait vu trop et parlait trop. Georges Figon, petite frappe notoire, entretenant des relations autant avec le « milieu » parisien qu’avec son élite intellectuelle, se voit proposé par un étrange producteur (Chtouki, chef des services secrets marocains) vingt millions de francs afin de réaliser un film sur la décolonisation, à la condition que Medhi Ben Barka en soit le conseiller historique. Figon sollicite donc l’aide de Marguerite Duras, l’écrivain renommée, et de Georges Franju, le réalisateur culte au bord de la folie, pour l’aider. Mais l’entreprise est un piège visant à faire disparaître celui qui fait trembler le monde capitaliste, Medhi Ben Barka. Appâté par le gain, Figon le pousse vers une mort certaine, sans vraiment savoir qu’il sera l’instigateur d’un des plus grands scandales de notre siècle.
Serge le Perron nous offre ici un film d’époque, léché et parfaitement maîtrisé. Construit en trois actes, J’ai vu tuer Ben Barka s’avère être un film de très bonne facture, flirtant avec le polar et l’intrigue politique. La narration très bien traitée, s’attelle dans la première partie du film, à la mise en place du plan, soutenue par la voix off d’un Figon se remémorant l’affaire Post-Mortem. Puis dans la seconde partie du film, il laisse la narration à Marguerite Duras très justement interprétée par une Josiane Balasko intello-canaille. Celle-ci nous raconte les derniers mois de Figon, quand il vendra ses informations sur le « milieu » parisien et sur l’enlèvement de Ben Barka aux journaux à scandale. Enfin dans la dernière partie, Figon devient le narrateur des dernières heures de Ben Barka, s’arrêtant plus sur la personnalité du leader politique et s’interrogeant sur la portée de son propre geste dans un climat mondial proche de l’explosion.
Enchainant quelques longueurs parfois lassantes, J’ai vu tuer Ben Barka est avant tout un film historique, se voulant le plus proche et le plus exhaustif possible sur le sujet, et ne se transformant jamais en fouillis d’informations ou en ramassis d’anachronismes, comme le sont souvent les films traitant de cette époque trouble qu’a pu être le mouvement anticolonialiste. En gardant le point de vue de l’homme qui fut au cœur de toute l’affaire et en ne le rendant jamais vraiment sympathique aux yeux du spectateur (effectivement Figon est un salop mu par l’argent et prenant ses ordres d’anciens collabos), Le Perron nous offre un point de vue objectif, s’arrêtant même sur quelques séquences touchantes traitant des dernières heures de Ben Barka, instants que Figon ne viendra pas perturber. Finalement, en sortant de la salle, on se sent le cœur gros en pensant au destin de cet homme libre ayant soif de renouveau, mort pour la liberté, l’égalité et la fraternité que prône le pays qui l’avait oppressé si longtemps, et qui sera finalement le complice de son assassin. Ce n’est pas la légende qui fit l’homme, c’est l’homme qui devint une légende.
Cédric MayenEnvoyer un message au rédacteur