EXODUS: GODS AND KINGS
Un gâchis pharaonique !
À l’époque des pharaons d’Égypte, les Hébreux sont réduits en esclavage pour pouvoir bâtir les sculptures de l’empire égyptien. Moïse a été élevé comme le frère de Ramsès, aspirant pharaon, mais celui-ci, une fois sur le trône, apprend que Moïse est né hébreu et fut recueilli par sa nourrice. Banni d’Égypte et condamné à l’errance dans le désert, Moïse finira par accepter son destin : défier Ramsès et entraîner 600 000 esclaves dans un périple grandiose pour leur liberté…
Avant toute chose, notons qu’"Exodus" est dédié à titre posthume au regretté Tony Scott, frère de Ridley, qui s’était suicidé il y a deux ans. Doit-on y voir un lien avec le fait que ce nouveau film du réalisateur surestimé de "Gladiator" tourne autour de l’affrontement entre deux frères qui s’aimaient fraternellement avant de se déclarer la guerre ? L’idée nous titille en sortant de la salle, mais on aura vite fait de ne pas cogiter trop longtemps, d'abord parce que les deux frangins Scott n’ont jamais fait état d’éventuels conflits artistiques entre eux, ensuite parce que ces 150 minutes de visionnage ont le relief d’une 11ème plaie d’Égypte. Catastrophe artistique édifiante autant que gâchis d’une ampleur pharaonique, "Exodus" apporte, s’il le fallait encore, la confirmation de ce qui constitue désormais la « patte Ridley Scott » : mettre le paquet sur la production design (soignée comme toujours) au détriment d’un scénario qui cumule les maladresses et les énormités à la vitesse d’une attaque de sauterelles.
En ce qui concerne les travaux respectifs de Cecil B. De Mille et des pontes du studio DreamWorks, ils n’ont rien à craindre face à pareille déconfiture, à travers laquelle Ridley Scott et ses scénaristes (dont le pourtant talentueux Steven Zaillian) utilisent le parcours de Moïse comme prétexte à une intrigue dont on cherche encore la ligne directrice. Que raconte "Exodus", exactement ? Si c’était le combat entre deux frères, il est à peine effleuré par l’intrigue, sacrifié en cinq scènes mal découpées et rendu ridicule par le jeu incompréhensible de ses acteurs (Christian Bale et Joel Edgerton peuvent déjà se préparer pour les Razzie Awards). Si c’était le destin d’un leader insoumis pour libérer son peuple, il est handicapé par l’incapacité du scénario à choisir entre la pure retranscription des événements surnaturels connus de tous (la révélation, les plaies d’Égypte, etc…) et le détournement cartésien de l’intrigue biblique (Moïse est ici moins un prophète habité qu’une sorte de guide torturé et tourmenté par la présence invisible de Dieu). Et si c’était juste le prétexte à resservir des scènes de bataille et des grands espaces en veux-tu en voilà, ça ne sert à rien : non seulement on les a déjà vues trois cent fois avant, mais tout cela ne suscite rien d’autre qu’un ennui (à peine) poli.
Du côté des dialogues et des situations, le bilan s’alourdit encore. On savait que la version cinéma d’"Exodus" ne serait qu’un charcutage de postproduction imposé au cinéaste pour ratisser large dans les salles (près de 45 minutes de pellicule ont sauté), mais contrairement à des films comme "Cartel" ou "Kingdom of Heaven", le résultat ne nous donne malgré tout aucune envie de jeter un coup d’œil à la version longue qui ne manquera pas de débarquer en DVD d’ici quelques mois. Parce que, même comblées par des scènes qui viendraient réparer un tel gruyère narratif, les ellipses grossières du montage ne pourront pas dissimuler l’absence de cohérence, de point de vue et d’enjeux dramatiques travaillés. "Exodus" n’est rien de plus qu’une vaste enjolivure, où la prédominance du décor devient force de loi, au détriment de l’immersion sensitive, où l’acteur n’est plus qu’un pantin mécanique sans autre choix que de jouer les utilités, où le cinéaste se satisfait de ses grands moyens étalés à l’écran au travers d’un égocentrisme plus ou moins conscient.
Ajoutez à cela les dix plaies d’Égypte filmées comme dans un mauvais film catastrophe (dont une attaque de crocodiles façon "Les dents de la mer" !), une traversée de la Mer Rouge où les effets spéciaux digitaux s’incrustent très mal sur des fonds verts, des stars qui font de la figuration maquillée dans un coin du décor (quelqu’un sait à quoi sert Sigourney Weaver ici ?), un prêtre divinateur égyptien qui s’imagine en pleine répétition de stand-up, et, comble de l’audace, la présence de Dieu ici incarné sous la forme d’un sale gamin capricieux et avide de vengeance sadique (on en connaît qui vont hurler au scandale !). Ce n’est pas que l’on considérait Ridley Scott comme un véritable charlot ayant rangé son génie d’antan au vestiaire depuis longtemps ("Alien" et "Blade Runner" commencent à dater…), mais face à une catastrophe comme celle-là, il ne peut plus se cacher. Trop c’est trop !
Guillaume GasEnvoyer un message au rédacteur