INCENDIES
Raviver les cendres
“Pour résoudre une équation, il est inutile de commencer par vouloir déterminer les inconnues”, tel est le précieux conseil concédé à Jeanne par l’éminent professeur de mathématique dont elle est l’assistante. Une phrase qui en dit long sur la complexité de la quête qui attend nos deux orphelins. L’énoncé du problème est en effet fort succinct : qui sont ce père et ce frère que leur a cachés leur mère distante, triste et à présent, morte ? Juste deux données leur sont fournies, un de ses passeports et une photo d’elle, jeune, avec une inscription arabe en second plan. Reste alors à révéler pièce par pièce son passé, pour trouver la solution de cette émouvante équation à deux inconnues.
Comme une suite logique, les événements vont se croiser tout au long du récit, mêlant habilement flashbacks et progression de l’enquête par l’un des deux enfants. Un récit haletant, qui captive dès les premières minutes. Telle cette magnifique scène d’introduction, énigmatique, soutenue par une envoûtante chanson de Radiohead. Une succession de plans troublants, au ralenti, à la photo sublime mais sans appel : “Incendies” prend racine dans la guerre. Un conflit fratricide qui déchire l’ordre civil et provoque les pires dérives.
Pour chaque porte ouverte par la sœur, puis le frère, on découvre en parallèle un épisode de la vie de la mère. Mêmes décors, mêmes routes, mais les époques sont différentes et les destins aussi. Un destin qui met les jumeaux au pied du mur, pris au piège de cette implacable culpabilité qui pousse les enfants à obéir à la volonté de leur parents, même quand celle-ci risque de les marquer à jamais. Denis Villeneuve a très bien su capter cette dévotion à laquelle on est confronté dans cette situation. Une détresse, mise en sourdine par la rancœur de ne jamais avoir été réellement aimé. Bien que jumeaux, Jeanne et Simon vont réagir totalement différemment. Elle, accepte d’emblée les règles du jeu et part illico. Lui refuse catégoriquement mais finira par céder, par instinct fraternel. Famille quand tu nous tient !
Jeanne (Mélissa Desormeaux-Poulin) est de loin le personnage le plus attachant. Justement interprétée, elle accuse les vérités avec une pudeur émouvante. Lubna Azabal, quant à elle, incarne admirablement cette mère énigmatique, dénominateur commun de ce problème insoluble. Mais inutile d’en dévoiler plus sur ce thriller familial, car la chute est à la hauteur du film. Mieux vaut vous laisser porter par cette œuvre énigmatique, qui rappelle avec une logique implacable, que le genre humain est une variable extrêmement complexe.
Gaëlle BouchéEnvoyer un message au rédacteur