LES MAINS LIBRES
La belle et le prisonnier
Pour son premier long-métrage, Brigitte Sy pénètre des lieux qu’elle connaît bien : la prison. Non pas qu’elle ait passé du temps derrière les barreaux comme condamnée, mais parce qu’elle s’est, pendant une dizaine d’années, entretenue avec des femmes et des hommes incarcérés, avec qui elle a écrit un scénario pour les montrer tels qu’ils sont, aux yeux du monde. Durant ses investigations, la réalisatrice est tombée amoureuse d’un détenu, Michel, emprisonné pour braquages. C’est ainsi qu’a débuté une folle histoire d’amour que Brigitte Sy a décidé de raconter à travers son film.
Dès le début, la réalisatrice prévient : cette histoire est inspirée de faits réels. Et personnels aurait-elle pu ajouter ! Ronit Elkabetz, incarne cette femme qui se rend deux fois par semaine en prison à la rencontre de son groupe de détenus pour les faire travailler sur un projet de long-métrage, en accord avec le directeur de la maison d’arrêt qui la prévient : attention, pas de sentiment avec eux. La réalisatrice le rassure, mais il est déjà trop tard, elle est depuis plusieurs semaines secrètement amoureuse d’un des taulards, celui qui la dévisage à travers l’œil de la caméra, un certain Michel, quadra, beau et massif, qui lui fait tourner la tête !
Des sentiments partagés des deux côtés et qui vont amener les deux victimes d’Apollon à se faire passer des billets doux, s’échanger des regards, se frôler, toujours dans la plus grande discrétion, afin de n’éveiller aucun soupçon. Cet amour qu’on va leur qualifier d’interdit et de déraisonnable cherchera une issue, une liberté, une évasion. La réalisatrice ira même jusqu’à se brûler les ailes en flirtant avec les magouilles de prison, par amour.
Bel essai transformé pour Brigitte Sy avec ce premier long-métrage réalisé tout en finesse, à l’image léchée, avec ses profondeurs de champ maîtrisées, ses gros plans vivants et parlants, et ses musiques enivrantes. On s’amuse dès le début à analyser la mise en abîme entre la vraie réalisatrice qui donne son rôle à Elkabetz, elle-même réalisatrice, qui pour sa part donne son rôle lors du film dans le film, à une jeune étudiante. La prison est en soi une magnifique mise en abîme, puisque l’amour qui lie les deux éperdus est, lui-même, emprisonné dans leur cœur.
Ronit Elkabetz (« Tête de turc », « La visite de la fanfare », « Prendre femme »…) illumine son personnage de sa justesse d’interprétation, de son aura et de son charisme, du talent qu’on lui connaît depuis ses débuts (elle a reçu cette année à Cannes le Prix France Culture Cinéma, qui entend récompenser une personnalité du cinéma pour la qualité de son œuvre et la force de son engagement). Face à la belle, Carlo Brandt interprète le rôle de Michel, bel homme de quarante ans bien tassés mais dont le charme fou camoufle les rides du passé. Il est d’une assurance apaisante et d’une force tranquille. On ne peut s’empêcher de trouver couple plus parfait, mieux assorti… !
A côté de ces deux grands comédiens, les seconds rôles en imposent. Noémie Lvovsky est une nouvelle fois à la fête avec ce personnage de copine « bonne conscience » : toujours le bon mot pour donner des conseils raisonnables mais jamais appliqués, l’amour étant plus fou et plus fort que la raison. François Négret, interprète le rôle de l’ancien amant. Après son passage remarqué chez Ducastel et Martineau (« L’arbre et la forêt »), il confirme en peu de scènes tout le talent qu’il peut apporter à un cinéma qui ne lui laisse aujourd’hui pas suffisamment de place.
Beauté des images, justesse de l'histoire, qualité d'interprétation des comédiens, voilà un premier film fort réussi. Voilà également la naissance d'une cinéaste dont on n'a pas fini d'entendre parler.
Mathieu PayanEnvoyer un message au rédacteur