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SPLICE

Un film de Vincenzo Natali

Je suis un monstre

Superstars de la science, Clive et Elsa ont réussi à combiner l’ADN de diverses espèces animales afin d’obtenir de fantastiques hybrides. Ils veulent à présent passer à l’étape suivante en fusionnant de l’ADN animal et de l’ADN humain. Lorsque le laboratoire qui les emploie leur refuse le financement, ils décident de continuer dans le plus grand secret. C’est ainsi que voit le jour une étonnante créature qu’ils prénommeront Dren…

Grand spécialiste du film-concept astucieux et faussement malin, le canadien Vincenzo Natali était encore récemment plus connu pour ses qualités de scénariste tarabiscoté que pour son travail de réalisateur, basant ses travaux sur le thème de l'enfermement, tout en se jouant des codes du cinéma de science-fiction. Un début de carrière en forme de trilogie conceptuelle, passant du huit-clos claustrophobique ("Cube") au thriller hitchcockien futuriste ("Cypher") avant de finir dans l'humour absurde et l'abstraction totale ("Nothing"), ses protagonistes ayant la particularité d'être en perpétuel état d'enfermement (dans un cube, dans leur cerveau, dans le néant).

Difficile d'aller plus loin après ça, et c'est en connaissance de cause que Natali s'attelle désormais à un autre versant de son métier, et pas des moindre : l'art du conte et de la narration. Avoir suivi Terry Gilliam sur le tournage de son très personnel "Tideland" (l'excellent making-of/documentaire "Getting Gilliam") lui aura sûrement été bénéfique pour ce changement important, et c'est avec l'excellent "Quartier de la madeleine" (peut-être le meilleur segment du film-omnibus "Paris, je t'aime") qu'il ose enfin se confronter à son statut de conteur, cherchant dans le fantastique gothique et le folklore du genre (ici, la figure du vampire) le moyen de mener son histoire. Il est donc désormais temps pour Natali de voir plus grand.

Écrit il y a bientôt dix ans, "Splice" bénéficie du talent de son auteur pour la création de situations extraordinaires. Situation, ici, de pure science-fiction, que Natali déroule en un savant mélange de genres disparates. Débutant comme un sous-"Frankenstein" contemporain (« It’s alive ! » s’écrit l’un des héros lorsque la créature prend vie, les prénoms Clive et Elsa empruntés aux acteurs de "la Fiancée de Frankenstein"), "Splice" décrypte avec humour et minutie le cheminement scientifique d’apprentis sorciers se prenant pour Dieu, montrant à l’écran un couple de génies aux attitudes d’adolescents attardés (et ils écoutent du Hard Rock, en plus !), faisant fi de toute considération éthique dans leur envie de création. Des protagonistes que l’on devine rapidement tentés par la parentalité, et qui découvriront dans leur projet un palliatif inespéré – et ô combien déviant ! – à cette envie somme toute très humaine.

C’est là que démarre la seconde partie du film, sans doute la plus intéressante, Natali faisant basculer la science-fiction dans le drame psychologique teinté de fantastique. Considérant cet « enfant » comme sa propre fille, là où le personnage de Brody (très bon dans un rôle un peu ingrat) tente de rester pragmatique et cohérent (ils ont quand même créé un monstre !), Elsa (magnifique Sarah Polley, à la fois grande sœur compréhensive et mère frustrée) va développer une relation étrange, faite d’amour et de rejet, avec Dren. Une créature humanoïde à la croissance accélérée, femme-enfant monstrueuse aux réactions inattendues, et qui viendra se mettre comme un grain de sable dans les rouages de la vie de ses « parents ». Bien plus que le design inédit de Dren, qui en fait l’un des plus beaux monstres jamais vu sur un écran, c’est l’interprétation nuancée de Delphine Chanéac (bien loin de l’exaspérant "Incontrôlable"), rendant palpable les interrogations de son personnage, ainsi que le subtil changement de point de vue qui précipitera le film dans sa dernière partie.

Assoiffée de reconnaissance paternelle, là où sa « mère » semble l’avoir déçu, Dren va alors accepter son statut de créature, et transformer dès lors le récit en véritable film de monstre, meurtres sanguinolents, photographie gothique et course-poursuite à l’appui. Le temps d’une scène folle, où explose un érotisme déviant jusque là seulement suggéré, dont on taira la teneur exacte pour en préserver la surprise, et "Splice" de devenir le digne successeur du cinéma originel de Cronenberg (on pense beaucoup, forcément, à "la Mouche" ou à "Faux-semblants"), s’achevant dans une dernière bobine outrageuse et réjouissante. Puissant dans sa narration, osé dans son illustration, drôle et sexy, "Splice" ne ressemble finalement à rien de connu. Et ça, en ces temps de standardisation du genre, ça fait un bien fou !

Frederic WullschlegerEnvoyer un message au rédacteur

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