STAR TREK
Le retour gagnant de l’U.S.S. Enterprise
L’avenir de la galaxie va se retrouver entre les mains de deux êtres que tout oppose… Le jeune James Tiberius Kirk est un rebelle, une tête brûlée élevée dans une ferme de l’Iowa. Il ne lui manque qu’une cause pour se forger un destin. Spock a grandi sur la planète Vulcain. Doté d’un esprit remarquable et d’une grande détermination, il a du mal à trouver sa place parmi les siens car sa mère, humaine, lui a légué sa capacité à éprouver des émotions. Au sein de l’Académie de Starfleet, la compétition entre les deux hommes est féroce ; mais devant l’adversité, ils devront faire équipe…
J.J. Abrams se serait-il reconverti en sauveur de franchises? On pourrait le croire, après qu'il ait profondément modifié l'impact des séries télévisées « à l'américaine » avec « Lost » et « Alias », avant de reprendre à son compte la série des « Mission : Impossible » au cinéma. Son travail sur « Star Trek » procède du même syncrétisme : goût pour le matériau d'origine, double ambition narrative et esthétique, ainsi qu’une habile façon de jongler entre l'attente d'une tripotée de fans prêts à manifester leur mécontentement si l'on écorche le moindre nom de petite souris et cette part non négligeable du public qui aura surtout le souci de voir un bon film sans avoir à consulter au préalable d'Encyclopedia Universalis Trekkie.
Pour répondre à cet impératif, il faut au créateur une savante dose de cohérence et de respect, un courage de tous les diables et, condition sine qua none, une très, très bonne idée de départ. Cette idée fut formulée par Abrams lui-même aux premiers temps du projet : « Il y a eu dix longs-métrages [tirés de « Star Trek »], mais c'est la première fois qu'un film aborde les origines de l'histoire que Gene Roddenberry a créée en 1966 ».
Abrams choisit donc de revenir en arrière pour relater la genèse d'une histoire que tout le monde (ou presque) connaît par coeur, celle des membres d'équipage du vaisseau d'exploration spatiale le plus connu du Cosmos cinématographique, l'U.S.S. Enterprise, exercice qui consiste à relier entre eux les points épars d'une mythologie déjà bien établie. Ce projet rappelle forcément celui, raté, de George Lucas avec la première trilogie « Star Wars ».
Et si la comparaison n'est sans doute pas légitime, Abrams n'étant pas Gene Roddenberry, l'histoire des images n'est autre chose qu'un immense puzzle dont les pièces éparpillées parviennent parfois à trouver leur place et il est évident que celles de « Star Trek », sous l'égide du cinéaste surdoué, se sont agréablement emboîtées. Certes, la figure ainsi obtenue n'est pas exempte de défauts; mais personne, depuis Robert Wise et le métaphysique premier « Star Trek », n'était parvenu à recréer un tel exploit, pas même le comédien-réalisateur-scénariste Leonard Nimoy, infatigable Spock de la série originale, qui reprit le flambeau à plusieurs reprises pour signer quelques épisodes de la saga sur grand écran (parmi les moins ratés), et qui revient ici en guise d'hommage.
Il y a, indéniablement, un plaisir de cinéphile et de téléphage à retrouver, sur grand écran, des héros devenus légendaires. Les noms de James T. Kirk, Spock, Sulu, McCoy résonnent aux oreilles d'une génération d'amateurs comme les cloches dominicales à celles des fidèles, signe que la messe sera bientôt dite. Totalement dépendant de sa propre genèse cinéphile, un tel film est d'abord un appel puissant, un phare à la lumière particulièrement attirante pour les amateurs du modèle original ou, plus généralement, de science-fiction. Ce n'est qu'après coup qu'on le rend à sa dimension de création cinématographique, avec tout ce que cela implique de questionnements sur les personnages, le scénario, le contexte, le sens.
Le sens? N'est-il pas toujours le même depuis des décennies? C'est à croire que l'humanité ne change pas, et que nous aurons à jamais des désirs identiques : explorer l'espace intersidéral, croiser la route de formes de vie inédites et passionnantes, s'aventurer au-delà de l'imagination. Un rêve d'enfant (pour le critique, pour le fan) et d'enfants (pour tous les êtres humains). Assister au décollage de l'Enterprise, devenir le témoin des actes courageux d'un équipage hétéroclite, craindre l'apparition attendue d'une race extraterrestre belliqueuse et sans scrupules... Tout cela suffirait presque à donner à « Star Trek » sa justification complète. Mais le film possède d'autres qualités.
L'essentiel du pari, dans un film comme celui-ci, réside dans la capacité des créateurs et des techniciens à représenter un univers crédible et potentiellement réaliste, au coeur duquel les savoureux délires technologiques (machineries spatiales démesurées, distorsions de l'espace-temps, téléportations) et linguistiques (« Armez les phasers » ou « Passez en vitesse de distorsion » font désormais partie intégrante du langage populaire) ne rentrent pas en contradiction avec l'établissement d'un contexte identifiable, qui se manifeste par des planètes, des constructions et des formes de vie immédiatement acceptables, et avec l'évolution de protagonistes, humains ou non, avec lesquels le spectateur doit faire corps.
En d'autres termes, il doit exister une parfaite adéquation entre l'esthétique futuriste, très éloignée de nos préoccupations, et des enjeux reconnaissables, qui nous offrent d'éprouver danger et joie. Peu importe donc que Spock ait des oreilles pointues, du moment que le personnage parvient à exister physiquement pour le film et pour nous. En cela, le pari est parfaitement réussi, notamment grâce aux séquences d'ouverture qui imposent les personnages dès leur jeune âge, et installent le parallélisme entre un Kirk inexpérimenté et son futur capitaine en second, l'inexpressif vulcain Spock.
Abrams use de tous les artifices d’une mise en scène chiadée et parfaitement maîtrisée. On retrouve ici les tics visuels de « Mission : Impossible 3 », particulièrement dans l’utilisation très physique des jeux de lumière et dans des cadrages qui s’efforcent de rendre les corps et objets palpables. Un soin singulier a été apporté aux décors, à l’architecture, au design des vaisseaux spatiaux, aux costumes. Le tout au service d’un scénario sibyllin à souhait, explorant le thème consacré de la multitude des couches d’espace et de temps (thème cher à la série « Star Trek »), perclus d’incohérences narratives parfois grossières mais peu gênantes ; d’autant qu’Abrams sait parfaitement se faire excuser ces quelques facilités en proposant des guest stars savoureuses (dont Eric Bana, méconnaissable en méchant Romulien) et en multipliant les clins d’œil à la série originale.
Et quand le générique de fin apparaît, illustré par les notes emblématiques de la partition de l’époque, on ne peut s’empêcher d’afficher un large sourire béat d’admiration. Plus qu’un grand film, « Star Trek » est d’abord une réussite de cœur. Et aucun défaut ne peut rivaliser avec cela.
Eric NuevoEnvoyer un message au rédacteur