DELTA
Une histoire belle et cruelle faite d'amour et d'eau fraîche
Après « Johanna », sélectionné à Cannes en 2005 dans le cadre d'Un certain regard, le réalisateur hongrois Kornél Mundruczo revient avec un film d'une intensité rare. Dans l'univers merveilleux du Danube, enveloppé d'une quiétude que rien ne semble pouvoir troubler, deux êtres s'isolent du monde. Leur union inattendue, projection contemporaine du mythe d'Electre, fera l'objet de toutes les hostilités. Or la nature des sentiments qui gagnent ce frère et sa soeur dépasse tout entendement : ils ne sont que pureté et innocence, à l'image de la nature qui se joint à l'unisson autour d'eux. La beauté des paysages, nus et lisses, est d'autant plus marquante qu'elle persiste tout au long du film, sans jamais subir les animosités humaines. Elle est cette constante inaltérable, le cadre d'une histoire interdite qui ne peut s'épanouir qu'à l'abri du regard des hommes.
A la façon d'un Crusoé que la solitude a rendu mélancolique, le frère construit sa maison au milieu de nulle part. La scène où, aidé de sa soeur, il cloue une à une les planches du ponton qui reliera sa demeure à la terre ferme, marque sa séparation avec le monde réel, chargé de personnes et de souvenirs auxquels il décide de renoncer. Beaucoup de questions sont en suspens : d'où vient cet homme ? Pourquoi décide-t-il de retrouver sa mère et pourquoi était-il absent jusqu'à présent ? Enigmatique et silencieux, il fascine d'entrée de jeu. Quant à sa soeur, remarquablement interprétée par la jeune Orsi Toth, elle affiche des traits durs et un regard sauvage qui la rendent tout aussi mystérieuse.
Le film est bâti sur un ensemble d'antagonismes : clarté et pénombre, beauté et laideur, douceur et violence. « Delta » est au croisement de ce que la nature a de plus beau à offrir et de ce que l'humain a de plus vil en soi. Comme dans un poème antique, les choses sont rarement montrées dans leur banalité ou leur caractère abrupt. Ainsi, la mise en scène demeure toujours très pudique, à la limite du naïf, privilégiant les jeux d'ombres (un regard complice derrière un linge suspendu) ou les plans décadrés (un mouvement du corps que l'on devine en voyant les pieds). La poésie qui se dégage des personnages centraux apparaît d'autant plus allégorique qu'elle contraste avec une forte violence, filmée elle aussi de façon détournée (de loin ou la nuit), comme si les choses laides ne méritaient pas d'apparaître au grand jour.
Avec « Delta », Kornél Mundruczo signe un petit bijou de poésie. Un voyage sensoriel entre rêve et réalité qui, à défaut d'être éternel, laissera des traces pendant longtemps.
Sylvia GrandgirardEnvoyer un message au rédacteur