LE SECRET DE BROKEBACK MOUNTAIN
Passer à côté du bonheur... d'un rien ou pour rien
Deux jeunes cow-boys se retrouvent à garder un troupeau de moutons dans les prairies de Brokeback Moutain. Entre eux, naît une complicité qui, lors d’une nuit arrosée, se voit doublée d’une irrésistible attirance physique. A la fin de la transhumance, chacun part de son côté. Mais quatre ans plus tard, Jack reprend contact avec Ennis, qui depuis s’est marié…
Avec Le secret de Brokeback Mountain, Ang Lee (Tigre et Dragon, Hulk) revient à un cinéma posé, amoureux du détail pictural ou comportemental, de la simple expression de visage, et soucieux de révéler les moments clés de l’existence de ses personnages. En s’intéressant à cette histoire d’amour éperdu entre deux hommes engoncés dans les conventions sociales d’une époque, il met face à face l’image virile du cow-boy avec l’expression d’une sexualité fortement tabou, inconsciemment synonyme de déviance. La première scène de débordement physique entre les deux hommes est d’ailleurs d’une bestialité confondante, laissant place ensuite à une affection envahissante contre laquelle au moins l’un d’entre eux ne cessera de lutter.
Heath Ledger et Jake Gyllenhaal donnent corps à ces deux hommes, imaginés par Annie Proulx (Prix Pulitzer), dont on suit les vies et les compromissions sur près de vingt. Au fil du film, la splendeur des paysages du Wyoming et la pureté des premiers élans laissent place à la froideur des intérieurs et à l’amertume des rendez-vous manqués et à la rancœur du manque. Heath Ledger, à l’accent prononcé, joue le renfermement et la colère à merveille, face à Jake Gyllenhaal, dont le seul regard suffit à donner une idée de l’étendue de l’admiration et du douloureux amour de Jack pour Ennis.
Chacun d’eux se compose une vie parallèle, mensonge aux yeux du monde, et coups de poignards répétés à cet autre qui n’attend qu’un geste. Les interprètes des deux femmes bafouées sont pour beaucoup dans la crédibilité de ces couples forcés, dont la tiédeur n’a d’égale que l’importance des trahisons. Si Anne Hathaway joue les femmes d’affaire distantes avec aplomb, c’est surtout Michelle Williams que l’on remarque, bouleversée par le secret qu’elle doit garder par espoir de retrouver un mari qu’elle comprend n’avoir jamais eu. La scène où elle surprend les amants dans un baiser fougueux, et celle où elle explose, en demandant un aveu impossible sont parmi les grands moments de tension du film.
Ang Lee filme avec discrétion la complicité des deux hommes, laissant place à quelques rares expression de leur proximité charnelle, au travers de quelques fougueuses étreintes. Avec finesse il amène l’émotion par à coups, à l’image des rares paroles trahissant des sentiments interdits d’expression. Il réussit à maintenir le spectateur au bord des larmes durant les vingt dernières minutes, en dévoilant l’ampleur des mensonges, et de leurs dégâts tous sous couvert de « faire le bien » ou sauvegarder les apparences. Ceci jusqu’à ce que la dernière image vous arrache le cœur.
Au delà du droit à la différence, ou de l’homosexualité, le film pose surtout la question de la compromission et de l’impact des codes sociaux sur la vie de certaines familles, fondées sur le mensonge et l’absence de réels sentiments. Il interroge chacun sur sa capacité à croire assez en l’autre pour laisser s’exprimer ses élans amoureux, à faire des gestes en toute clarté. Il donne aussi, au travers d’une histoire d’amour universelle et assez simple, la mesure de la souffrance due à une distance obligée et à l’attente de moments d’intimités. Brokeback Mountain, grand favori pour les oscars 2006, est au final un film qui vous hante encore longtemps après sa vision. Peut être simplement parce qu’en amour, l’on comprend toujours trop tard, tout le bien que quelqu’un d’autre peut vous vouloir, et le bonheur qu'il peut vous apporter.
Olivier BachelardEnvoyer un message au rédacteurÀ LIRE ÉGALEMENT
COMMENTAIRES
OLIVIER
samedi 23 mars - 4h23
UN FILM QU ON N OUBLIE PAS