QUELQUES HEURES DE PRINTEMPS
Humaniste et fort
Ne peut-on pas aujourd’hui décider de partir dans la dignité quand la mort frappe à votre porte ? Telle est la question soulevée par le réalisateur Stéphane Brizé qui, après « Mademoiselle Chambon » (tiens, déjà avec un certain Vincent Lindon), revient avec un sujet dur qui fera pleurer dans les chaumières et qui n’est pas sans rappeler la dernière Palme d’or de Cannes 2012, « Amour » de Michael Haneke. Mais changement de ton et changement de classe sociale ici… « Quelques heures de printemps » est le pendant prolo du film de l’Autrichien qui, pour sa part, se passe dans les beaux quartiers parisiens loin des campagnes et des petites maisons provinciales de Stéphane Brizé. Ici, le récit est imprégné d’une réalité sociale et humaine incroyables. Il suffit, pour s’en convaincre, d’apprécier le choix des décors et des costumes. Ils ont rarement été aussi tournés vers une époque (hommage aux années 90), un lieu (la province, ici en région Bourgogne) et une catégorie sociale (les retraités et les petites gens comme il y en a des millions).
Tout le talent d’Hélène Vincent est d’incarner un personnage au présent (quelle transformation ! l’aurez-vous reconnue ?) mais de ne nous en dévoiler tout le passé, qu'au travers de ses mimiques et ses attitudes. Car elle est principalement muette, dans son salon ou sa cuisine, devant la télé ou un puzzle dont elle arrive plus facilement à assembler les pièces qu’à rassembler deux êtres qui n’osent se dire qu’ils s’aiment : elle et son fils. Vincent Lindon, au regard mélancolique, incarne ce dernier, transcendant un personnage complexe en plein doute et en plein virage dans une vie qu’il semble mal maîtriser. Il sort de prison après avoir été embarqué dans un petit trafic lié à son activité professionnelle de routier. Il est comme un mur face à une mère qu’il ne semble pas porter dans son cœur après des années de mauvaise communication et de rancœurs accumulées. Il est pris au piège d’une relation amoureuse naissante à laquelle il n’offre que peu de perspectives en la débutant par des mensonges successifs.
Loin d’être manichéen, chaque personnage a une part de bon et de mauvais en lui. Comme une fenêtre ouverte d’empathie qui nous touche par moments et des volets qu’on refermerait lorsqu’on est agacé par leurs comportements un peu plus tard dans le film. Une certaine vérité des sentiments, en quelque sorte… Le réalisateur laisse s’exprimer cette vérité à l’écran grâce à de beaux, mais simples, plans-séquences. On se dit qu’on a déjà vu cette vieille femme aux cheveux d’argent qui porte cette blouse aux motifs à fleurs, on en vient à reconnaître ce petit jardin derrière la maison où on plante quelques salades et qu’on a déjà été dans ce salon décoré kitshement avec quelques trophées de chasse et quelques souvenirs de vacances à l’étranger. On est avec « Quelques heures de printemps » dans un milieu connu, un endroit commun et avec des personnages qu’on a déjà croisés ; était-ce notre famille ou celle de quelqu’un d’autre ? Peu importe, on est immergé dans un monde qui nous semble familier, authentique…
C’est cela la force du film de Stéphane Brizé. Son brio ne tient pas seulement à la manière si désenchantée qu’il a de traiter d’un thème fort et forcément cruel, qui fait mal en chacun de nous, il est aussi là : dans cette relation perdue entre un fils et sa mère, ces quelques non-dits, ces quelques regards et ces quelques mots enfin échangés à la lueur de quelques heures de printemps, où la vie renaît dit-on, où l’amour renaît aussi parfois…
Mathieu PayanEnvoyer un message au rédacteur