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MIA MADRE

Un film de Nanni Moretti

Aussi doux que puissant

Margherita est en plein tournage de son nouveau film, une uvre engagée sur les fermetures d’usine. Alors qu’elle doit gérer un acteur américain incapable d’aligner les répliques, la réalisatrice va également devoir affronter un drame bien plus violent : la lente agonie de sa mère…

Habitué parmi les habitués, Nanni Moretti était très attendu à Cannes avec son nouveau film "Mia Madre" qu’on annonçait être d’une tristesse et d’une beauté pures. Et dès les premières images, ces prémonitions se sont avérées être exactes. Margherita est une réalisatrice obsessionnelle, agacée et agaçante, inquiète et donc nerveuse. Car plus que la peur de perdre le contrôle de son film, c’est la lente agonie de sa mère qu’elle ne peut accepter, redoutant terriblement le jour des au revoir impossibles. Après "La Chambre du fils", le cinéaste s’empare à nouveau du deuil, avec une maestria déconcertante, une précision chirurgicale qui touche au cœur et qui fait de chaque plan une tranche de vie à l’émotion si palpable.

Au lieu de nous offrir des scènes convenues larmoyantes, Moretti a préféré montrer les conséquences de la peur de perdre un être aimé dans le quotidien d’un alter-ego, occasion également de désacraliser la profession de metteur en scène et de ranger les paillettes du tapis rouge au fond d’une boîte. Mais intelligemment, l’Italien ne s’est pas donné ce rôle, préférant se contenter de celui du frère, dévoué et irréprochable, empreignant son récit personnel d’une touche plus universelle. Là où beaucoup auraient recherché le surplus émotionnel, lui préfère esquisser son récit doucement et tendrement, capturer progressivement la fragilité exacerbée d’une femme qui ne peut affronter la terrible réalité.

Mais si le film est si réussi, c’est parce que ce réalisme est recouvert d’un doux manteau onirique et d’une belle couche de comédie, en particulier grâce à l’excellent John Turturro. En comédien mythomane (il aurait tourné avec Stanley Kubrick et celui-ci serait littéralement tombé amoureux de son talent), incapable de retenir son texte et obligé d’exagérer son jeu pour prononcer ses répliques en italien, il est le levier humoristique du film, contrepoint essentiel à la gravité d’une mort annoncée. Savant saupoudrage entre ces deux aspects du métrage, "Mia Madre" s’inscrit alors dans ces comédies dramatiques qui méritent cette appellation, parce que l’on rit et l’on pleure, l’un après l’autre, voire parfois les deux en même temps.

Des visites à l’hôpital à la nostalgie qui s’installe, le réalisateur traite son sujet avec subtilité et pudeur, sans jamais trop appuyer. Et au-delà de la très grande performance des acteurs, la caméra aiguisée du cinéaste nous balade entre les rêves visibles et ceux que l’on se fait nous-mêmes, entre les couloirs d’une clinique et ceux d’un appartement riche en souvenirs. Si ce n’est pas un chef-d’œuvre, car un poil trop mécanique, l’ensemble est tellement fort qu’il est indéniable que le métrage fera partie du haut du panier de l’édition 2015 du Festival de Cannes.

Christophe BrangéEnvoyer un message au rédacteur

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