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MAMÁ

Un film de Andrés Muschietti

Instinct maternel

Tout commence par un meurtre. Un père, pris de panique, enlève ses deux filles et prend la fuite. Un accident, une cabane isolée au cœur d’une forêt, le père disparaît dans d’étranges circonstances…

"Mamá" est tiré d’un bref court-métrage mettant en avant la virtuosité, l’aisance, de son réalisateur, Andrés Muschietti. Il s'ouvre sur un plan-séquence de trois minutes, magnifiquement éclairé, présentant les deux filles poursuivies dans une maison par un esprit malin. Chaperonnée par Guillermo Del Toro, une telle histoire aux accents gothiques ne pouvait trouver mieux comme producteur. Évidemment, nous reconnaissons immédiatement la patte du Mexicain, ceci dès les premiers plans, avec une ambiance mêlant angoisse et poésie, des personnages attachants (offrant la part belle aux enfants) et bien développés, et un final qui tire la petite larme, sans tomber dans le mielleux insupportable.

Au milieu de tout cela, nous découvrons une Jessica Chastain métamorphosée. Tatouée, les cheveux courts et dénouée de tout instinct maternel, elle étonne, surprend, mais surtout reste crédible dans ce personnage déboussolé par ce qui lui arrive. Il en va de même pour les deux jeunes actrices qui l’accompagnent. Elles sont tout simplement bluffantes. La direction d’acteurs est excellente, et aucun d’entre eux n’en fait des caisses.

Et quand elle-t-il de la fameuse "Mamá" ? Il faut reconnaître qu’elle fout la frousse, la garce ! Ses apparitions surprennent et se font de manière très bestiale, voire reptilienne. On est loin du fantôme japonais qui rampe à deux kilomètres heure. Pourtant "Mamá" en reprend certains codes esthétiques, mais avec un aspect beaucoup plus torturé et moins lisse. De plus, elle n’est pas réduite au simple ectoplasme qui traverse les murs pour faire « bouh !» à tout bout de champ. Non, "Mamá" est traitée comme un personnage à part entière. Elle émeut, et son histoire, bouleversante, ne fait qu’amplifier la pitié qu’on éprouve à son égard. Le seul gros reproche serait finalement l’abus du « tout numérique ». Pourquoi ne pas avoir pris, pour la personnifier, un véritable acteur retravaillé par la suite ?

Alors oui, "Mamá" accumule plusieurs clichés du genre (les jump scare, un scénario sans grande surprise, les futures victimes, le final dans la forêt, la nuit…), mais cela n’empêche pas l’ensemble de fonctionner parfaitement. Car au final, à quoi cela sert-il d’avoir les bons ingrédients si la personne qui cuisine ne sait pas les utiliser avec intelligence ? Et Andrés Muschietti connaît la recette, quitte à ne pas trop la renouveler. Il y a rajouté sa touche personnelle par ci, par là, afin de se démarquer, tout d’abord par sa mise en scène (une photo sublime, des prises de vue inventives sans être tape à l’œil), et ponctue son film d’éléments assez marquants comme son introduction très dure et son final qui reste dans le même ton, avec une magnifique touche de mélancolie. Dommage que le cœur du métrage tende à s’adoucir progressivement. Peut être la présence trop pesante de son producteur ou la pression d’un studio souhaitant toucher un large panel de spectateurs, l’a-t-il limité dans sa liberté ?

En conclusion, il aura réussi à susciter l’intérêt général (un succès mérité à Gérardmer, puisque le film a obtenu le Grand Prix) et on a hâte de connaître la suite, tout comme ce fût le cas pour Guillermo Del Toro, ou encore plus récemment Juan Antonio Bayona ("L’Orphelinat", "The Impossible").

Sylvain LaurentEnvoyer un message au rédacteur

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