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LÉVIATHAN

Bons baisers de Russie !

Kolia et Lilia vivent au bord de la mer de Barents dans une belle bicoque qui jouxte le garage où travaille Kolia. La vie suit son court dans cette famille recomposée où les relations sont difficiles entre la nouvelle femme de Kolia et son fils. Elle deviendra bien plus difficile quand le maire de la ville propose de racheter la maison et le garage pour y faire construire un centre commercial…

Après "Le Bannissement" (2007), reparti bredouille de Cannes, Andreï Zviaguintsev était revenu avec "Elena" dans la section Un certain regard (2012) où il avait reçu le Prix spécial du jury. De retour dans la compétition officielle en 2014 avec "Léviathan", on aurait parié pour un Prix de la mise en scène, mais c’est finalement un Prix du scénario qui lui a été attribué. Il faut dire que l’histoire nous plonge habilement dans les magouilles politiques de la Russie contemporaine où les petites gens sont confrontés aux hommes de pouvoir qui pensent moins à l’épanouissement de leurs citoyens qu’à l’enrichissement de leur fortune personnelle. Entre corruption, alcool et rapport aux femmes, "Léviathan" dresse un nouveau portrait noir de la société russe d’aujourd’hui.

« Je suis le pouvoir », dit le Maire d’une ville russe qui veut exproprier Kolia, qui habite et travaille en bord de mer de Barents où l’élu veut faire construire un centre commercial. Mais le mal de nos sociétés actuelles – et il suffit d’ouvrir le journal tous les jours pour s’en rendre compte – est le pourrissement de ceux qui nous dirigent. Pouvoir et argent contrôlent le monde – et pas seulement la Russie, les Français sont bien placés pour le savoir. Kolia représente ce peuple qui tente de (sur)vivre mais que les puissants veulent faire taire parce qu’il gêne et essaie un tant soit peu de se défendre. Le bougre !

Le combat – même s’il commence bien pour Kolia – est déséquilibré et son représentant (son frère, un grand avocat) joue sur la même corde que ses opposants, qu’ils maîtrisent malheureusement mieux que lui. La bâtisse finira donc par tomber comme tous ces destins de vies que les dirigeants corrompus à travers le monde ont brisées en ne jouant pas leur rôle de représentants de la collectivité, mais plutôt de leurs intérêts personnels. Une classe politique – et religieuse – qui endosse parfaitement le costume du Léviathan biblique : ce monstre qui anéantit l’équilibre de notre société. Une imagerie qui rappelle celle que le philosophe Thomas Hobbes, avec son Léviathan (1651), avait déjà attribuée à l’État.

Pour lutter, le refuge de l’alcool est finalement ce qui apaise le mieux les plaies, selon Andreï Zviaguintsev. Il dépeint une société russe malade de son addiction à la boisson, comme les Français sont accros à l’aspirine ! Et une fois vides, les bouteilles ne sont pas perdues : elles servent à un succulent jeu de ball-trap où une fois toutes explosées, elles sont remplacées par les portraits des anciens dirigeants et dictateurs du pays ! Et pourquoi Poutine n’en fait pas partie ? « Pas assez de recul historique ! », se justifie un des personnages ! Car oui, on rigole à gorge déployée dans ce film noir qui laisse quelques portes ouvertes à la comédie et à la légèreté.

Et même à l’amour… avec une vision toute particulière d’Andreï Zviaguintsev sur les couples ! Les femmes sont les proies des enfants qui n’acceptent pas celles qui remplacent leur génitrice et il faut avoir un sacré caractère pour être respectée comme une femme et non un bout de viande… Le casting est aux petits oignons pour interpréter ces rôles. Du maire au frère, de Kolia à sa femme, de la belle-sœur au gamin, tous délivrent un jeu plus vrai que nature. Encore un grand film (seulement son quatrième) pour un réalisateur qui n’a pas fini de décortiquer les mœurs du peuple russe et la gangrène qui le détruit à petit feu…

Mathieu PayanEnvoyer un message au rédacteur

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