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CAMILLE CLAUDEL 1915

Un film de Bruno Dumont

Juliette Binoche, encore et toujours

Après quelques crises de démences, Camille Claudel est internée de force dans un asile près d’Avignon. Dépossédée de son art, la sculptrice ne vit désormais plus que dans l’attente des visites de son frère. Seule et isolée, celle-ci s’enfonce progressivement dans la paranoïa…

Au vu de sa filmographie (« La vie de Jésus » et « Hors Satan», notamment), rien ne prédestinait Bruno Dumont à réaliser un biopic sur Camille Claudel. Néanmoins, le hasard en a décidé autrement et deux événements fortuits l’ont amené sur les traces de la célèbre sculptrice. Tout d’abord, un message laissé sur son répondeur par Juliette Binoche, qui clamait l’amour qu’elle portait aux précédents opus du cinéaste, a donné envie à ce dernier de travailler avec l’actrice. Puis, alors qu’il cherchait un sujet pour leur rencontre cinématographique, Bruno Dumont se rend compte que la comédienne a exactement le même âge que Camille Claudel, dont il est en train de lire une biographie, au moment où celle-ci fût internée. La suite, on la connaît…

Refusant la biographie et la structure classique du biopic, le réalisateur a décidé de s’intéresser uniquement à l’année 1915, date où Camille Claudel vit, contre son gré, dans un asile. Pour le reste de sa vie, les curieux peuvent toujours se tourner vers le « Camille Claudel» de Bruno Nuytten, dans lequel Isabelle Adjani brillait dans le rôle principal. L’intrigue de ce métrage se concentre ainsi sur quelques jours, durant lesquels Camille Claudel attend éperdument la visite de son frère. Dès la découverte de la sculptrice, de dos et dénudée, on comprend rapidement que rien ne nous sera épargné. Si dans les premières minutes, la vision naturaliste du metteur en scène s’apparente à un certain exhibitionnisme, étalant les différents patients internés – de véritables personnes hospitalisées – comme une collection de monstres, la suite du métrage nous fera oublier ces débuts poussifs.

Car une fois le spectacle douteux de l’inventaire des pensionnaires de l’asile terminé, la caméra va nous plonger dans l’intimité de cette femme, en lutte sans cesse contre elle-même et contre les contraintes morales qu’on cherche à lui imposer. Privée de liberté et de son art, celle-ci s’enferme dans un silence légitime, refusant l’affection des autres patients. Dans une mise en scène austère, Juliette Binoche, intense et magnétique, captive l’œil du spectateur. L’actrice, entièrement dévouée à son personnage, nous livre une très grande prestation, entre minimalisme et exubérance, pour essayer d’incarner une artiste fragile, en permanence au bord de l’explosion. Sensible et ultra-fragile, la Camille Claudel de Dumont flirte constamment avec la folie sans pour autant franchir la limite, nous laissant face à nos propres interrogations. Que peut-bien faire un artiste à qui l’on interdit de s’exprimer par son art ?

Isolant ses personnages par des plans serrés, Dumont, par un formalisme entièrement maîtrisé, distille habilement les différents enjeux de la confrontation tant attendue entre Paul Claudel et sa sœur. Cet affrontement à distance trouve son point d’orgue dans une incroyable scène où les deux protagonistes seront enfin rassemblés dans un cadre unique. Amenant une réflexion sur la religion et notamment sur sa compatibilité avec l’inspiration artistique, la caméra de Dumont ne délaisse jamais ses comédiens bien qu’elle invite le spectateur à s’interroger sur des thèmes bien plus vastes. Ambitieux formellement et intellectuellement, cet instantané de la vie de la célèbre sculptrice risque d’en décontenancer plus d’un. Mais à l’instar de ses précédentes réalisations, si l’on accepte de pénétrer dans l’univers mystique de ce metteur en scène, on ne regrettera pas notre choix. Bien qu’il s’agisse d’un biopic avec une star en tête d’affiche, « Camille Claudel » est avant tout un long métrage de Bruno Dumont, chaque plan étant marqué par son empreinte inimitable. Il est ainsi fortement recommandé de tenter l’expérience, d’autant plus au vu de l’interprétation époustouflante de Juliette Binoche.

Christophe BrangéEnvoyer un message au rédacteur

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